Éric-Emmanuel Schmitt : Lettre à Jésus
Lettre à Jésus
C’est une
lettre impossible. Elle se dérobe au fur et à mesure que je la rédige.
Comment
la commencer?
Il
faudrait tracer « Cher Jésus » et voilà que, déjà, j’hésite, mon cœur
s’embrase, mon orthographe chancelle : dois-je inscrire « Cher Jésus »
ou bien encore « Jésus par quoi tout m’est cher »? Mon stylo attrape
le torticolis à regarder une personne si haute. Des mots d’amour, j’en ai
rédigé, des vrais, des faux dans mes romans, qui sonnaient encore plus vrai que
les vrais. Cependant, je ne me suis encore jamais adressé à l’amour. On écrit
sur l’amour, on écrit par amour, on écrit à l’amoureuse mais on n’écrit pas à
l’amour. Non, on ne s’adresse pas à l’amour car c’est lui qui s’adresse à nous
et nous redresse. On ne prend pas non plus la parole devant l’amour puisque
c’est lui qui nous la donne.
Ne
sachant pas commencer, j’ignore comment poursuivre. Car j’ai plutôt l’habitude
de te rejoindre autrement, par la prière ou la méditation. Et là, si je te
retrouve, ce n’est pas pour te parler mais pour t’entendre. Voire pour tenter
de me confondre en toi, de m’éblouir de ta lumière, de m’absenter dans ta
présence. En fait, je n’ai pas de bouche pour toi, juste des oreilles. Donc
encore moins une main pour t’écrire. Je n’ai jamais songé à t’écrire car je ne
veux que t’écouter. Je n’ai jamais tenté de t’écrire car seuls tes messages
comptent.
Je n’ai
jamais envisagé de t’écrire car si j’ai besoin que tu existes pour moi, je n’ai
pas besoin d’exister pour toi. Cependant, puisqu’on me demande de le faire, je
racle donc mon cerveau pour en extraire quelques phrases.
Que dire
à l’amour? Sois.
Que
demander à l’amour? Demeure.
Que
souhaiter à l’amour? Respire.
Jésus,
toi-même tu n’as pas écrit. Nulle part dans les Évangiles, on ne te voit
gratter des signes sur un papyrus ou graver des tablettes d’argile. À un seul moment, tu dessines dans le sable.
Savais-tu seulement écrire?
Quelle
importance? Tu parlais. Tu agissais. Tu montrais l’exemple. Tu ouvrais la voie.
De fait,
tu n’avais pas besoin d’écrire puisqu’on allait écrire sur toi. Pendant des
millénaires…
Sans fin…
Voilà, au
moins je sais comment finit ma lettre : Jésus, je veux bien écrire sur toi
mais pas t’écrire. J’arrête. Je t’aime. Je n’ai rien à t’apprendre, rien à te
demander, je n’ai pas non plus de rendez-vous à te fixer car je n’irai qu’à
ceux que tu me donnes. Ici s’achève définitivement ma correspondance.
Bien à toi (je l’espère).
Éric-Emmanuel
Schmitt
Très profond et sincère, j’aime son propos.
RépondreSupprimerDieu sait ce qu’Il fait. Laissons-nous transformer par l’Amour