dimanche 23 mai 2021

Parler et agir avec onction

 Parler et agir avec onction 

Je dédie ce blogue à Guillaume, jeune séminariste en France. 

Le soleil vient de se coucher sur Montréal, en cette solennité de la Pentecôte 2021. J'avais depuis quelques semaines le désir d'écrire ce blogue, mais je n'avais jamais le temps de le faire. La solennité d'aujourd'hui est le moment idéal, selon moi, pour traiter un tant soit peu de ce sujet. Car l'onction dont je veux parler est essentiellement l'oeuvre de l'Esprit Saint. Jésus, dès le début de son ministère public, a décrit celui-ci de la façon suivante : 

"L'Esprit du Seigneur est sur moi car il m'a consacré par l'onction. Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu'ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur." (Évangile selon saint Luc, chapitre 4, verset 18 et 19). 

L'Esprit Saint est souvent communiqué aux fidèles par une onction d'huile. Dès la deuxième strophe du Veni Creator Spiritus, l'hymne la plus fameuse en l'honneur de l'Esprit Saint, un des noms que l'on donne à l'Esprit Saint, est le suivant: "onction spirituelle". Voici cette deuxième strophe: 

Qui diceris Paraclitus,
Donum Dei altissimi,
Fons vivus, ignis, caritas
Et spiritalis unctio. 

Toi qu'on nomme l'Avocat 
Le Don du Dieu Très Haut 
Source vive, feu, charité,  
Et onction spirituelle 

Le Père Raniero Cantalamessa, le prédicateur de la Maison pontificale depuis l'année 1980, a écrit un livre magistral sur le Veni Creator Spiritus, intitulé : "Viens Esprit Créateur, Méditations sur le Veni Creator" (1) Quand il commente les mots "onction spirituelle", le Père Cantalamessa dit ceci: 

"Nous reconnaissons l'onction quand nous sommes en présence d'une personne qui la possède, mais on ne peut pas la renfermer dans des concepts clairs et précis; elle participe étroitement, en effet, de la nature de l'Esprit qui est d'être insaisissable." (2)

J'ai dit que je dédiais ce blogue à Guillaume, un jeune séminariste Français. Pourquoi ? Parce que lors des rares occasions où j'ai communiqué avec Guillaume, j'ai cru percevoir chez lui cette onction spirituelle qu'est l'Esprit Saint. 

La douceur est un des aspects qui décrit l'onction spirituelle. Une personne douce, de la douceur même de Jésus, est une personne qui vit sous la mouvance de l'Esprit Saint qui est onction spirituelle. 

D'ailleurs, saint Paul mentionne la douceur comme étant un des fruits de l'Esprit Saint : "Voici le fruit de l'Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi." (Lettre aux Galates, chapitre 5, versets 22 et 23) De fait, à mes yeux, les fruits de l'Esprit que sont "la patience, la bonté, la bienveillance et la douceur", me semblent particulièrement adaptés pour décrire ce qu'est "l'onction spirituelle". Du moins, c'est lorsque je suis en présence de ces qualités (ou vertus) chez une personne, que j'ai l'impression d'être en contact avec l'Esprit Saint qui est "onction spirituelle". C'est pourquoi le texte biblique qui décrit le mieux à mes yeux la personne ointe de l'Esprit, est le suivant:  

" Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu qui a toute ma faveur. J’ai fait reposer sur lui mon esprit; aux nations, il proclamera le droit. Il ne criera pas, il ne haussera pas le ton, il ne fera pas entendre sa voix au-dehors. Il ne brisera pas le roseau qui fléchit, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit, il proclamera le droit en vérité. Il ne faiblira pas, il ne fléchira pas, jusqu’à ce qu’il établisse le droit sur la terre, et que les îles lointaines aspirent à recevoir ses lois." (Livre d'Isaïe, chapitre 42, versets 1 à 4)

Ce texte d'Isaïe a l'avantage de réunir les deux aspects qui décrivent l'onction spirituelle, aux yeux du Père Cantalamessa. Ces deux aspects sont: la douceur et l'autorité ou la force. 

J'ai reconnu très clairement l'onction spirituelle dernièrement, dans un personnage d'un roman historique. Je doute que ce personnage ait existé, mais il m'a fait un grand effet. Je fais partie d'une Congrégation religieuse dont les membres ont été formés par les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. J'ai entendu parler du livre de François Sureau intitulé "Inigo" (c'est le nom d'Ignace dans sa langue qui était l'espagnol); je l'ai donc acheté. 

Ignace, après sa conversion, s'est infligé de très rudes pénitences. Il n'avait pas encore reçu toutes les lumières de l'Esprit qui lui seront données plus tard et qui feront de lui un maître du discernement spirituel. Cette exagération dans les pénitences ont affecté sa psychologie et sa vie spirituelle. Voici ce que raconte un auteur du 19ème siècle à propos d'Ignace:  

"Les péchés de sa jeunesse revenaient à son esprit, il tremblait à la terrible idée de ne les avoir pas confessés entièrement, d'en avoir déguisé quelque circonstance importante. A force de se replier sur elle-même, sa conscience devint ombrageuse, pusillanime: il n'osait plus ni parler ni garder le silence, ni se mouvoir ni faire quoique ce soit; il se jetait à genoux pour prier, mais sa bouche comme son cœur restait muette; des sanglots, arrachés par une souffrance indicible, profonde, soulevaient tumultueusement sa poitrine; des cris de désespoir s'échappaient seuls de ses lèvres ; des tentations horribles de se donner la mort assaillaient son esprit : une fenêtre ouverte et béante lui donnait ces prestiges enivrants, qui saisissent certaines natures à la vue d'un précipice. Frappant alors son front sur les dalles de sa cellule, il poussait vers Dieu ce cri de suprême désespoir : « Seigneur, Seigneur, pour« quoi m'avez-vous abandonné ? » Cri magnifique !"  (3)

Je n'ai pas vérifié la vérité de ces dires, mais d'après ce que je connais de la vie d'Ignace, ils sont vrais. D'ailleurs le livre de François Sureau va clairement dans le même sens. Dans le roman de Sureau, Ignace, rendu presque au bord du désespoir, se rend auprès d'une femme d'une soixantaine d'années, dont il avait entendu beaucoup de bien et qui était réputée très sage. Voici quelques lignes du livre de Sureau. Ignace demeura longtemps devant la femme, sans parler. Puis il lui posa ces questions:  

  "Comment vit-on avec Dieu?" demanda-t-il, brusquement, surpris lui-même par cette question qui lui était venue presque malgré lui. Et, en la prononçant, il réalisait ce qu'elle voulait dire, se ramifiant presque à l'infini. Dieu s'adresse-t-il à chacun dans sa propre langue, et peut-on s'instruire réciproquement de ses manières d'agir? Que pouvait-elle dire de Lui? Lui était-Il, depuis si longtemps, devenu familier? Avait-elle connu les mêmes épreuves? Pouvait-on vivre dans l'épreuve une vie entière?

     Une gaieté lumineuse et calme éclairait les traits creusés de cette sainte inconnue, dont on murmurait qu'elle avait été appelée auprès du roi lui-même. Regardant Inigo, elle paraissait le voir et voir au-delà de lui. Elle semblait lui porter, sans le connaître, une amitié pure de toute indiscrétion, et le comprendre. "Mon maître a parlé à Nicodème, à lui seul. Il est allé chez Zachée. Il a remercié la femme aux parfums. Chaque fois, il est entré dans leur vie, dans leur monde, semblable à nul autre monde." Sa voix était basse et rapide. "Je vois que vous passez au creuset... Puisse mon maître vous apparaître un jour!" Inigo eut un mouvement. Elle ne se méprit point sur l'espèce de peur qu'il laissait paraître. "Il n'est que douceur. On le croit sévère... l'homme se fait des idoles. Pour les adorer, pour les détester. Idoles de Dieu, idoles de soi-même. C'est un grand mystère.

...  La sainte du jardin resta longtemps silencieuse, mais son silence était plus consolant que tout. Il ressemblait à ces paroles qui dénouent et allègent le coeur. Il ne faisait qu'un avec le murmure des arbres et la chanson de la rivière. Puis elle parla. Sa voix était celle d'une très jeune fille, ce qui fit sursauter Inigo. Elle lui dit que nul ne connaît sa vraie personne, celle que Dieu forme jour après jour. Elle lui raconta une anecdote qu'elle tenait d'un juif converti d'Alcantara: "Deux enfants jouaient à se cacher. L'un dit à l'autre: "J'ai trouvé une cachette que tu ne découvriras jamais.", et il s'y cache. Il y attend. Une heure, puis deux heures passent. Un peu déçu, il en sort et part retrouver son ami. Il le trouve assis avec les grandes personnes. L'ami ne l'avait pas cherché. Il était resté là, à écouter les conversations des grands. Alors l'enfant ne mit à pleurer. Et, parmi les grands, un vieux rabbin très sage et très silencieux se met à pleurer aussi. On l'interroge, et il dit: "L'enfant pleure. Je pleure. Et Dieu pleure, parce qu'il ressemble à cet enfant. Il se cache pour que les hommes le trouvent et ils ne daignent pas le chercher." Se levant, elle lui prit les deux mains et lui dit: "Je sais que vous avez cessé d'écouter les conversations des grands.

Plusieurs heures avaient passé sans qu'Inigo s'en aperçut. Elle le raccompagna à la porte basse qui donnait sur la ruelle. Le jour tombait.  

... "Vous êtes ma joie de ce jour, dit-elle de son étrange voix d'avant l'âge. Et vous êtes la sienne. Je prierai pour que vous ne l'oubliez pas." (4)


 (1)

 

(2) C'est moi qui ai traduit ces phrases du Père Cantalamessa car je n'ai pas le livre en français. Je n'ai que la version originale, qui est en italien. 

(3)  https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6210521v/texteBrut 

(4)  François Sureau, Inigo, Éditions Gallimard, 2010, pp. 141-143.


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