Belle mort ou mort féconde ?
Nous vivons le mois de novembre, le mois des ... (eh oui, c'est bel et bien le mois que nous avons en tête). La première lecture de la messe d'aujourd'hui est celle-ci :
6 nov. 2025
Lectures de la messe
Première lecture
(Rm 14, 7-12)
Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Romains (Rm 14, 7-12)
Frères,
aucun d’entre nous ne vit pour soi-même,
et aucun ne meurt pour soi-même :
si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ;
si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur.
Ainsi, dans notre vie comme dans notre mort,
nous appartenons au Seigneur.
Car, si le Christ a connu la mort, puis la vie,
c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants.
Alors toi, pourquoi juger ton frère ?
Toi, pourquoi mépriser ton frère ?
Tous, en effet, nous comparaîtrons devant le tribunal de Dieu.
Car il est écrit :
Aussi vrai que je suis vivant, dit le Seigneur,
tout genou fléchira devant moi,
et toute langue proclamera la louange de Dieu.
Ainsi chacun de nous
rendra compte à Dieu pour soi-même.
– Parole du Seigneur.
"Aucun d'entre nous ne meurt pour soi-même" ; ces mots de saint Paul ont une résonance bien particulière pour moi depuis quelques années. Pour vous introduire dans cette nouvelle compréhension que j'ai de ces paroles, j'utiliserai un fait historique et une intuition d'un écrivain catholique. Mais avant, posons-nous certaines questions :
1- Qu'est-ce que les gens entendent par une "belle mort" ? Selon moi, les personnes disent d'une personne décédée qu'elles ont aimé "qu'elle a eu une belle mort", lorsque cette personne a vécu une mort paisible. Et souvent nous imaginons qu'une personne qui a été honnête durant sa vie et qui a beaucoup aimé Dieu et son prochain, mérite une telle mort ou du moins est en droit de s'attendre à ce genre de mort.
2- Jésus a-t-il eu une "belle mort" au sens que nous avons donné à ces deux mots dans le paragraphe précédent ? Pour être vrai, il faut avouer que non. Jésus a vécu une mort atroce ; il a même crié du haut de la Croix : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?". Son dernier soupir a été vécu dans la confiance mais quand on parle de sa mort, on dit toujours que ce fut une mort atroce. Atroce mais très féconde puisqu'elle a mérité le salut du genre humain.
3- Quelles mort désirons-nous pour nous-mêmes ?
1- Un fait historique : Henri Nouwen est un de mes auteurs préférés. Il est décédé en 1996. Il a écrit un petit livre sur la mort de sa mère, qui a été publié en 1980 (1). Le chapitre 2 du livre, est consacré entièrement aux heures qui suivirent la réception du sacrement des malades par madame Nouwen. Voici quelques extraits de ce chapitre :
" Mon frère et ma soeur étaient aussi à son chevet. "Maman, lui dis-je, je veux vous donner l'huile de guérison et nous voulons ensemble prier pour vous." Je me penchai vers elle et elle me répondit doucement : " Il est difficile pour moi de penser, tu sais ce qu'il faut faire." Après avoir allumé un cierge, je priai pour da guérison, pour une vie nouvelle, pour que nous ayons la force en ce temps de crise et le courage de nous soumettre à la volonté de Dieu. Ce fut à cet instant, quand je lui fis trois fois le signe de la croix avec l'huile sainte et qu'elle reposait calmement dans son li, que son regard se tourna vers Dieu. ...
Peu de temps après cet instant de calme - la lutte commença. Nous n'y étions pas préparés ; nous n'avions même pas songé que sa mort pût être une mort difficile. Nous n'avions anticipé ni anxiété, ni peur, ni agonie. Pourquoi l'aurions-nous fait ? Sa vie était une belle vie, douce et généreuse, marquée par le don absolu ; elle ne pouvait, en toute logique, finir par un combat agité, douloureux et tourmenté. Les gens pacifiques devraient mourir paisiblement ; ceux qui ont la foi devraient mourir sereinement ; ceux qui aiment devraient mourir doucement. Mais est-ce vrai ? Qui suis-je pour formuler des équations simplistes et des conclusions d'une telle logique ? Alors que je ne sais même pas pourquoi nous vivons, pourquoi penserais-je savoir comment nous devons mourir ? Si la vie est un mystère, pourquoi la mort serait-elle envisagée comme une réalité que nous pouvons saisir et comprendre ? ...
Mais l'huile du sacrement n'est pas seulement un symbole de guérison, c'est aussi un symbole de combat. Les anciens guerriers s'enduisaient le corps d'huile avant la bataille, et les lutteurs modernes l'emploient pour assouplir leurs muscles et rendre leurs corps agiles.
Se peut-il que j'aie oint ma propre mère pour la préparer au combat final ? ... Je commençai à réaliser que l'huile dont je l'avais ointe était le signe qu'un grand combat devait être livré ; à vrai dire, l'ultime combat dont l'importance n'est comprise que de quelques-uns. ...
Peu de temps après que je lui eus donné le sacrement des malades, ma mère entra dans une longue et pénible agonie. ... Nous avons suivi son agonie de minute en minute, d'heure en heure, de jour en jour. ... Nous ne pouvions rien faire d'autre que d'être là : tenir ses bras qui s'agitaient sans cesse en l'air, essuyer doucement la sueur qui perlait sur son front et, soigneusement, relever les oreillers en lui offrant le plus de confort possible. ...
À mesure que les longues heures s'écoulaient en jours et en nuits de plus en plus longs, son cri venait de plus loin en elle et se faisait plus fort. Me penchant vers elle, je l'entendis prier : : "Mon Père qui êtes aux cieux, je crois, j'espère, j'aime ... Mon Dieu, mon Père ..." Je sus que c'était le combat de la grande rencontre."
J'arrête ici la description de l'agonie de cette pauvre dame. Henri Nouwen donne encore plus de détails mais je juge que c'est suffisant.
2- Une intuition d'un grand écrivain catholique : Georges Bernanos, dans sa pièce de théâtre intitulée "Le dialogue des Carmélites" présente une scène très touchante qui jette un éclairage spécial sur la mort agitée de certaines personnes qui pourtant avaient vécu une très bonne vie. Au début de cette pièce de théâtre, la Mère Prieure du couvent est en train de mourir et est très agitée. Son comportement sur son lit de mort, est déconcertant.
J'ai été incapable de retracer dans ma bibliothèque ce chef-d'oeuvre de Bernanos mais j'ai trouvé sur la toile (le web) les phrases de la pièce de théâtre que je désirais vous partager :
Par ailleurs, la mort mystérieuse de la première Prieure, qui survient au tout début de la pièce, détonne justement parce qu’elle ne correspond pas à l’idéal d’exigence auquel tendent les religieuses et qu’elle incarnait particulièrement. C’est une mort contre-nature qu’elle subit, inadaptée à la religieuse qu’elle fut.
Cette étrangeté est perçue par Sœur Constance : « Qui aurait pu croire qu’elle saurait si mal mourir ! On dirait qu’au moment de la lui donner, le bon Dieu s’est trompé de mort, comme au vestiaire on vous donne un habit pour un autre. Oui, ça devait être la mort d’une autre, une mort pas à la mesure de notre Prieure, une mort trop petite pour elle ». Cette scène amorce l’évocation du mystère de la Communion des Saints chère à Bernanos. Le Carmel en effet « n’est pas une Maison de Paix (…). C’est une Maison de prière. Les personnes consacrées à Dieu ne se réunissent pas entre elles pour jouir de la paix, elles tâchent de la mériter pour les autres… ». Et c’est ainsi que sœur Constance, toute pénétrée de l’idéal carmélite, peut dire : « On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou même les uns à la place des autres, qui sait? ». (2)
Ce que dit Soeur Constance est pour moi très lumineux ; elle semble dire en d'autres mots ce que saint Paul nous dit dans sa Lettre aux Romains : "Aucun d'entre nous ne meurt pour soi-même ... si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur" ; nous mourons pour que le plan de Dieu se réalise en nous et dans les autres.
(1)
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