mercredi 11 novembre 2015

Le suicide assisté


Le suicide assisté

Je n’aime vraiment pas la façon dont l’homme et la femme modernes nomment les choses. L’expression « suicide assisté » ne fait aucun sens à mes yeux. Le suicide est le fait de quelqu’un qui s’enlève la vie. Si c’est une autre personne qui nous enlève « notre vie », il faudrait employer un autre mot que le mot « suicide ». Il me semble qu’il serait beaucoup plus juste d’appeler cela un « meurtre permis » ou un « meurtre légal » . Et dans la catégorie des « meurtres permis », ou des « meurtres légaux », j’inclurais tous les cas de ce qu’il est désormais convenu d’appeler les « interruptions volontaires de grossesses ».  

Il existe un passage dans la Bible qui me semble très pertinent sur cette question: il s’agit de la mort du roi Saül. Cette mort est racontée de deux façon dans la Bible. Un récit raconte que Saül s'est suicidé (1 Samuel 31, 1-6); l’autre récit nous présente le roi Saül qui, appuyé sur son épée, demande à un de ses serviteurs de lui donner la mort, pour alléger ses souffrances. Le serviteur acquiesce à la demande du roi et tue Saül. Dans ce cas-ci, il s’agit vraiment de ce qu’on appellerait aujourd’hui un « meurtre par compassion ». Apprenant cela, le roi David demande que l’on tue le meurtrier de Saül, car il a osé enlever la vie à celui que Dieu avait consacré par l’onction  (2 Samuel 1, 2-16). Vous me direz peut-être que David a agi ainsi en raison de l’extrême dignité de Saül qui avait été roi, mais qu’il n’aurait pas eu la même réaction si le serviteur avait tué un « simple soldat ». De cela, je ne suis pas entièrement sûr. Mais de toute façon, une telle façon de voir ne vaudrait plus aujourd’hui car depuis l’Incarnation du Fils de Dieu, tous les êtres humains possèdent une extrême dignité, puisque Jésus s’identifie à chacun d'eux (Mt 25, 40). Et cette extrême dignité est en quelque sorte augmentée, pour ainsi dire, dans le cas de toute personne qui a été baptisée, et qui a donc reçu l’onction. 

Si vous connaissez monsieur Patrick Lagacé, chroniqueur dans le journal La Presse, vous n’êtes sûrement pas surpris de le voir pencher vers le suicide assisté. Monsieur Lagacé se dit athée convaincu et fier de l’être. Il a écrit en septembre dernier une chronique sur le film Paul à Québec, qui passe en ce moment sur les écrans de cinéma au Québec. Ce film met en scène Roland, âgé et atteint du cancer, qui décide de vivre sa vie jusqu'au bout. Commentant ce film, monsieur Lagacé étale assez bien les jalons de sa pensée sur le suicide assisté. J'avoue que je ne lis plus les articles de ce chroniqueur depuis belle lurette, car lorsque je lis ses écrits, c'est plutôt moi "l'agacé". Cela prenait bien un de mes meilleurs amis pour me faire lire M. Lagacé aujourd'hui. 

Michel Fontaine est un de mes meilleurs amis. Il a été professeur de philosophie pendant plus de trente ans. Ayant lu l'article de monsieur Lagacé, que vous pourrez lire en cliquant sur le lien ci-dessous, Michel a tenu à mettre en lumière certains points et certaines vérités. Évidemment, les propos de Michel ne pourront être appréciés à leur juste valeur, que si vous avez pris le temps de lire auparavant la chronique de monsieur Lagacé. 


Monsieur Lagacé,

“Incapables de gagner sur le fond”, vous dites?
Dans votre chronique d’hier (21/09/15) vous affirmez que les opposants au suicide assisté, une minorité qui “parle très fort”, ont perdu. Dans cinq ou dix ans ce sera partout.” Je pense que le consensus de plus en plus large autour du suicide assisté (euthanasie) est un signe du renversement d’une vision théiste du monde, chrétienne chez nous, de la vie et de l’homme. Elle est aussi le signe d’une montée en puissance d’une autre vision, athée celle-là, du monde et de l’homme qui devient dès lors la nouvelle foi de nos sociétés.
Si j’étais athée —c’est ainsi que vous vous définissez de temps à autre dans vos chroniques—, je ne verrais pas trop comment je pourrais, sur le fond, m’objecter au suicide assisté. Si je croyais que la mort met un terme final à toute souffrance ainsi qu’à toute joie je me dirais, à l’instar d’une majorité, “à quoi bon souffrir pour rien”. Mais je n’ai pas cette foi. C’est la foi athée qui croit cela et je ne souscris pas à cette foi. La mort ne met pas un terme à la souffrance et elle ne met pas non plus un terme à la joie et au bonheur. La souffrance n’est pas inutile. Elle a un sens. Les affres de la mort pourraient être comparables aux douleurs de l’accouchement qui se terminent par une naissance à une nouvelle vie, meilleure ou pire, selon le choix de “la qualité de vie” qui aura été fait dans cette existence. Le moment qui précède la mort anticipée, l’agonie, même douloureuse, est un moment privilégié pour nous préparer à cette naissance. Si l’athée peut arriver à prouver le contraire il aura gagné sur le fond. Bonne chance! Le débat sur le fond est là et ce débat n’a pas eu lieu. Il n’a pas pu avoir lieu parce que c’est un débat entre deux visions de l’existence et du monde: la vision athée qui exalte l’homme et sa liberté souveraine et la vision théiste qui exalte aussi l’homme, mais l’homme fait à l’image de Dieu. Si ce débat a eu lieu publiquement, je ne l’ai pas vu passer.
Si je croyais que la souffrance qui précède la mort n’avait pas de sens, je ne m’objecterais pas au suicide assisté. Mais je ne crois pas cela. 
Si je croyais que la souffrance précédant la mort ne permet pas de réfléchir à cette vie, de faire le bilan, de s’en détacher, de faire le ménage, de se purifier afin de pouvoir passer par le trou de l’aiguille (Luc, 18, 25), je ne m’objecterais pas au suicide assisté. Mais, encore une fois, je n’ai pas cette foi qui est celle de l’athée. Je suis incroyant de la foi de l’athée.
Vous vous demandez pourquoi si peu de personnes choisissent le suicide assisté. Peut-être est-ce parce qu’ils finissent justement par réaliser dans les derniers moments de leur existence que le temps de la mort est un moment important, qu’il est comme un rite de passage, marqué souvent par la souffrance (comme le passage de l’enfance à l’adolescence), et qu’une étape cruciale est en cours dont dépend le salut. Pourquoi pas? Le fardeau de la preuve est de votre côté parce que c’est votre position qui trône et qui impose ses valeurs.
Le combat autour du suicide assisté dans notre société est le combat entre deux visions du monde, le combat entre deux cultures. Le combat entre la culture théiste et la culture athée. On pourrait dire aussi qu’il s’agit d’un combat entre deux religions. Au fond, une religion ou une métaphysique ne sont-elles pas ce qui permet de penser le monde, de penser la vie et de vivre selon la logique de cette pensée? Là est le cœur d’une culture, l’âme d’une religion. À ce point de vue, la culture athée et la culture théiste autant l’une que l’autre, sont des religions. Le débat entre la culture athée et la culture théiste qui, chez-nous est chrétienne, est un débat confessionnel, religieux, un débat entre deux croyances de fond. Aujourd’hui, l’athéisme occupe la place qu’occupait autrefois le christianisme. L’athée doit prendre conscience qu’il est devenu la nouvelle confession, la nouvelle culture, la nouvelle religion, la nouvelle foi au pouvoir. Est-il vrai que la souffrance terminale n’a pas de sens, qu’elle rend la vie à ce point indigne qu’il soit indécent d’en refuser la suppression? La loi sur le suicide assisté répond affirmativement. C’est une position hautement métaphysique. Pour les tenants du suicide assisté, la valeur de la vie dépend de la quantité de souffrances ou de malheurs que l’on est prêt à accepter. La vie n’a pas de valeur en elle-même, elle n’en a que si elle est de qualité comme un poisson est bon s’il est frais.
Est-ce que cette vision a gagné sur le fond? Elle s’est imposée, il est vrai, mais pas par la force des arguments.
Vous avez déjà dit dans une de vos chroniques que le suicide assisté est un grand progrès de la civilisation. Ceci ne peut être vrai qu’à condition que la culture athée —l’athéisme est le seul promoteur cohérent avec lui-même du suicide assisté— soit plus conforme à la vérité et vaille mieux  que la culture chrétienne qu’elle remplace en Occident.
Dans les faits, le progrès d’une vision athée de l’homme et du monde semble conduire inexorablement au suicide- assisté comme le prophétisait un éminent savant athée du début du vingtième siècle:
« Une souffrance intolérable conduirait fatalement l’athée au suicide; un athée ne doit vivre que s’il est heureux;... je dois affirmer ici, en toute sincérité, que je ne vois aucun raisonnement capable d’arrêter l’athée parfait que le suicide tente. Seulement, il n’y a pas d’athée parfait… Dans une société vraiment athée, le suicide anesthésique serait évidemment en honneur; la société disparaîtrait probablement par ce moyen. » [Félix Le Dantec, L’Athéisme, Paris, Ernest Flammarion, 1909 pp. 100 et 107]

Êtes-vous un athée parfait?

Michel Fontaine, automne 2015.

Monsieur Félix Le Dantec a tout à fait raison de dire que si les athées étaient vraiment cohérents avec eux-mêmes, dès que le bonheur s’estomperait passablement dans leur vie, ils devraient normalement mettre fin à leurs jours. Et si le monde devenait athée de façon très majoritaire, alors, toute civilisation disparaîtrait probablement assez rapidement. 
Il existe un livre magnifique qui prouve hors de tout doute, à mes yeux, qu’il vaut la peine de vivre sa vie jusqu’au bout, jusqu’à son dernier souffle. Ce livre a été écrit par Marie de Hennezel, et  a pour titre: La mort intime. Je vous recommande fortement la lecture de ce livre.


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