mardi 22 août 2023

Enquête sur les prêtres épuisés

Enquête sur les prêtres épuisés

Tiré du magazine "Le Verbe", du 5 juillet 2023 (1)

Note : J'ai le désir d'écrire ce blogue et le suivant depuis plusieurs semaines. J'ai commencé à l'écrire il y a de cela quelque temps, mais je n'ai jamais eu soit le temps, soit la force de continuer. En cette mémoire d'aujourd'hui où nous honorons la Vierge Marie comme étant notre Reine, je me mets à la tâche et je demande à cette bonne Mère de guider mes paroles et mes propos. Je lui confie l'effet que produiront ces blogues dans les coeurs. Il s'agit d'un sujet délicat qui facilement peut soulever les passions, mais il faut absolument que les prêtres puissent s'exprimer en toute liberté sur ce qu'ils vivent. 

James Langlois signe dans Le Verbe du 5 juillet, un reportage très intéressant sur l'épuisement des prêtres. Il nous dit que depuis que Le Verbe existe, il n'a jamais été aussi difficile d'écrire un reportage. Pourquoi ? Parce qu'il est très difficile de trouver des prêtres qui sont prêts à être interrogés sur cette question. James en a conclu qu'il y a comme une politique d'omerta sur ce sujet pourtant crucial. Les prêtres ne veulent pas s'ouvrir là-dessus. Il peut y avoir quelques raisons à cela. Voici trois raisons possibles dont la deuxième seulement est tirée de l'article dans le Verbe. La première et la troisième raison sont de mon cru.  

Trois raisons pour l'omerta, c'est-à-dire pour garder le secret sur l'épuisement des prêtres :

1- Le prêtre perçu comme un super-héros : Une sorte de honte que le prêtre éprouve à être dans une situation d'épuisement. Pourquoi? Parce que le prêtre est souvent perçu comme un super-héros. Cela me rappelle un événement douloureux de ma vie. J'ai fait une dépression sévère en 1997-1998. J'ai déjà témoigné sur YouTube (2) du fait que j'ai été guéri miraculeusement (selon moi) de cette grande épreuve dans ma vie. Dane la vidéo, pour ne pas être trop long, je n'ai pas donné le détail suivant : ma dépression a commencé en France où je venais d'arriver pour exercer mon apostolat. Je suis allé voir un médecin. Ce médecin m'a demandé ce que je faisais dans la vie. Je lui ai dit que j'étais prêtre. À ma grande surprise, il m'a dit ceci : " Vous êtes prêtre ! Comment se fait-il que vous n'ayez pas en vous toutes les ressources nécessaires pour combattre ce mal?" Je n'en revenais pas qu'un médecin me pose une telle question. Même lui, qui devrait connaître comment fonctionne un être humain, voyait en moi un super-héros qui ne devrait jamais souffrir de dépression. Nous, les prêtres. nous sommes souvent perçus comme vivant sur une autre planète. 

2- La crainte d'être jugé pas ses pairs ou par les autorités ecclésiastiques : Une deuxième raison pour laquelle les prêtres ne veulent pas s'ouvrir publiquement sur leur épuisement physique et émotionnel, c'est qu'ils ne veulent pas être jugés défavorablement par leurs confrères prêtres et surtout par leurs évêques. 

3- La psychologie masculine : D'une façon générale, il semble que les hommes éprouvent plus de difficulté que les femmes à parler de leurs faiblesses ou de leurs maladies. 

Quelles sont les causes de l'épuisement chez les prêtres ?

Voici un extrait de l'article de James Langlois publié dans le magazine Le Verbe dont la référence est au bas de ce blogue :

En 2015, le père Pascal Ide a publié aux Éditions de l’Emmanuel un ouvrage-clé: Le burnout, une maladie du don. Sur le sacerdoce, il écrit:

« Si certains [prêtres] relèvent comme cause principale le manque de soin apporté à leur vie intérieure, une bonne partie prend plutôt en compte les causes extérieures: la surcharge de travail pastoral, l’impression désagréable d’offrir un “produit” en décalage avec la demande, le stress lié à l’affrontement de situations presque toujours improgrammables, la privation de la reconnaissance manifestée autrefois au prêtre, les tensions avec l’institution, le poids des décisions du curé (lorsque le prêtre est vicaire), l’insistance excessive sur le don de soi lors des années de formation, etc. » (3) 

Personnellement, une des raisons évoquées ci-dessus me touche particulièrement. C'est celle-ci : "L’impression désagréable d’offrir un “produit” en décalage avec la demande,"

Quelle est l'offre que nous les prêtres nous voulons et nous devons proposer aux gens, conformément à ce que Jésus attend de nous ? Depuis quelques années, il devient de plus en plus clair que le mandat que Jésus nous a donné, est de former des disciples de Jésus, autrement dit des personnes qui vont désirer de plus en plus connaître Jésus, se former à son école, le prier, le fréquenter et par la suite et de façon tout à fait spontanée, le proposer aux gens comme étant leur Seigneur et Sauveur. 

Je suis né de parents catholiques, mais pas seulement catholiques de noms ou catholiques sur papier. Mes parents croyaient en Jésus Fils de Dieu et Dieu lui-même. Ils croyaient à la Sainte Trinité; ils croyaient à la prière, aux sacrements, en particulier à l'eucharistie. Quand ils ont demandé le baptême pour moi, ils désiraient que j'entre moi aussi dans cette dynamique de vie. Tout ce qu'ils vivaient comme chrétiens catholiques, ils désiraient que je le vive moi aussi. Et ils étaient aidés en cela par la société qui offrait à l'époque de l'enseignement religieux catholique dans les écoles. Mais c'est d'abord à la maison que je priais, que j'apprenais à connaître Jésus et à l'aimer et que j'étais incité à fréquenter les sacrements. 

Aujourd'hui, tout le monde le sait, les choses ont bien changé, et pas seulement un peu. Les choses ont changé du tout au tout. Plusieurs aînés se sont éloignés de la pratique religieuse et peut-être même de la foi. Les jeunes parents actuels ont été formés et éduqués pour la plupart par des parents qui ne partagent pas vraiment la foi chrétienne. Ces jeunes parents ne connaissent donc pas l'enseignement de Jésus et pour la très grande majorité d'entre eux, ne croient pas que Jésus est Dieu. À leurs yeux Jésus est un grand homme qui a un message encore valide aujourd'hui. Plusieurs d'entre eux savent que Jésus nous a demandé de nous aimer les uns les autres mais rares sont ceux qui savent que Jésus a dit : "Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés" (Jn 13, 34) Pour savoir comment il nous a aimés, il faut connaître sa vie et sa pensée. Or Jésus est pour les jeunes adultes d'aujourd'hui un illustre inconnu. 

De tout temps ce furent les parents qui ont éduqué les enfants, leur apprenant les bonnes manières, l'authenticité, l'amour fraternel et ce que la religion enseigne et nous demande. Les parents ne peuvent pas donner la foi à leurs enfants mais il leur est demandé de donner le témoignage de leur foi. Dans le livre des Actes des Apôtres, le livre biblique qui suit immédiatement les quatre évangiles, on voit des pères de familles qui adhèrent à la foi et qui entraînent toute leur famille dans leur sillage. 

Aujourd'hui on espère que ce seront les enfants qui conduiront les parents à la foi. Avouez que c'est assez utopique et qu'on ne voit pas beaucoup cela se produire. Si on le voit, c'est l'exception. Tout comme vous, probablement, j'ai entendu de très beaux témoignages de parents qui ont fait un merveilleux retour à Dieu à l'occasion de la catéchèse donnée à leur enfant. Je ne suis pas surpris de cela. Il est évident pour moi que Dieu, dans sa Miséricorde infinie, ne laissera pas sans aucun fruit le travail exigeant et exemplaire des catéchètes qui contre vents et marées se dévouent pour annoncer l'évangile aux enfants. J'admire beaucoup la résilience des catéchètes qui ne se découragent pas malgré le peu de fruits que produisent, ou semblent produire, leurs efforts. Mais Jésus a bel et bien dit : "On juge l'arbre à ses fruits" (Mt 12, 33) ; "le désir de mon Père, c'est que vous portiez beaucoup de fruits" (Jn 15, 8) et "c'est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez eu fruit, et que votre fruit demeure" (Jn 15, 16). Or l'expérience que nous voyons ici au Québec, c'est que la très grande majorité des enfants catéchisés ne réussissent pas à influencer leurs parents grâce à leur foi. C'est plutôt le manque de foi de leurs parents qui finit par avoir une influence durable sur leurs enfants. Et cela est très compréhensible. Les enfants ne sont pas fous; ils se disent probablement: "Papa et maman me demandent de faire ça parce qu'ils l'ont fait. Je le fais donc, mais j'imagine qu'ils veulent que plus tard j'agisse comme eux. C'est un coup à donner."

Mais là où je débarque, pour employer le jargon des Québécois, c'est lorsque durant la célébration du baptême, je demande solennellement aux parents, parrains et marraines s'ils croient en Dieu le Père, en Jésus le Fils de Dieu mort et ressuscité pour eux, en l'Esprit Saint, en l'Église, en la communion des saints, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle et qu'il me répondent OUI alors que dans leur coeur c'est NON. Autant ces questions sont importantes à mes yeux, autant ces questions semblent futiles et sans conséquence dans leur esprit. Cela fait des années que je souffre de vivre cela; je n'en peux plus et je ne veux plus le vivre. Il me faut trouver un autre moyen d'évangéliser. C'est ce sur quoi je planche en ce moment. 

Quand les choses ne font plus de sens pour quelqu'un, c'est là qu'il y a non seulement un problème mais aussi un danger. C'est rendu que je n'éprouve plus de joie à baptiser des enfants. C'est grave n'est-ce pas? Mais c'est la vérité. C'est la vérité de ce que je vis. J'aimerais qu'il en soit autrement mais c'est ce que je vis. Je sais que cela fâchera certaines personnes de lire cela et que cela va même les scandaliser. Pour ma part je respecte ceux et celles qui pensent autrement, mais j'aimerais qu'on respecte ce que je ressens. 

Je comprendrais très bien qu'un prêtre qui continuerait à faire des baptêmes dans de telles circonstances et sans éprouver de joie, pourrait se diriger éventuellement vers un burnout. Viktor Frankl, le célèbre psychiatre autrichien, a très bien mis en lumière le fait que l'être humain doit toujours donner du sens à ce qu'il fait. Si ce qu'il fait n'a pas de sens, la personne ne pourra pas se réaliser et elle pourra même déprimer et éventuellement se détruire. 

Je termine ce blogue en citant ce grand psychiatre :   

" Chaque personne fait face à une question que lui pose l’existence et elle ne peut y répondre qu’en prenant sa propre vie en main. C’est pourquoi la logothérapie (4) considère la responsabilité comme l’essence même de l’existence humaine.” (5)

(Suite sur le prochain blogue)


(1) https://le-verbe.com/reportage/enquete-sur-les-pretres-epuises/

(2)

Guérison par l'intercession de Saint Joseph et du Saint Frère André / Guy Simard, omv. Watch later. Share. Copy link.
YouTube · Guy Simard, omv · 24 avr. 2015 

(3) Pascal Ide, Le burnout, une maladie du don, Éditions de l'Emmanuel, 2015. 

(4) Viktor Emil Frankl, est le créateur d'une nouvelle thérapie qu'il baptise logothérapie, qui prend en compte le besoin de « sens ontologique » et la dimension spirituelle de la personne. Wikipédia 

(5) Viktor E. Frankl, Découvrir un sens à sa vie.

 
 

2 commentaires:

  1. Bonjour Mon Père! Merci pour cet article fort intéressant. Je partage votre souffrance face à l'endoctrinement des enfants dans les écoles qui a produit l'apostasie des jeunes puis, des adultes qu'ils sont devenus, ne transmettant plus rien à leurs enfants. Personnellement, je crois à l'importance de baptiser les enfants, même si les parents ne croient pas vraiment, la grâce pouvant agir dans le coeur de l'enfant, mais je suis totalement contre la comédie de donner des premières communions et confirmations à des enfants qui ne reviendront pas plus que leurs parents à la messe du dimanche suivant! Amitiés.

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  2. Merci à vous pour ce commentaire.

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