Solidarité avec les pécheurs
La solidarité avec les pécheurs m’impressionne
beaucoup. Être solidaire avec les pécheurs, ne veut pas dire approuver leurs
péchés; ce serait le comble. Être solidaire avec les pécheurs, cela veut dire
que nous reconnaissons que nous sommes tous pécheurs: « Tous les hommes sont pécheurs, ils sont tous
privés de la gloire de Dieu, lui qui leur donne d’être des justes par sa seule
grâce » (Rm 3, 23-24). Il y a une solidarité évidente dans le péché.
Cela nous le savons en théorie. Mais dans les faits, est-ce que nous nous
sentons solidaires de ceux et celles que nous considérons comme de grands
pécheurs, ou du moins comme de plus grands pécheurs que nous? Je suis loin
d’être sûr que ce soit le cas. Je pense plutôt que très souvent nous nous
sentons séparés ou mis à part des
personnes qui nous agacent par leurs comportements immoraux ou anti-religieux.
N'est-il pas très difficile de prier
pour des personnes que dans le fond de nous-mêmes, nous méprisons? Essayez de
prier sincèrement, très sincèrement pour des personnes publiques qui vous agacent
et que vous méprisez presque.
Jésus est le modèle par
excellence de la solidarité avec les pécheurs. Saint Paul nous dit que Dieu le
Père a identifié son Fils au péché; c’est une phrase très forte: « Celui qui n’a
pas connu le péché, Dieu l’a pour nous identifié au péché, afin qu’en lui nous
devenions justes de la justice même de Dieu. »
(2 Co 5,21). Jésus a pris sur lui tous les péchés du monde: « Lui-même a porté nos péchés, dans son
corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice.
Par ses blessures, nous sommes guéris. » (1 Pi 2, 24)
« Voici l’agneau de Dieu qui enlève
le péché du monde » (Jn 1, 29)
Je n’aime pas tellement la
traduction que l’on fait habituellement de cette phrase de Jean le Baptiste. On
nous dit que Jésus enlève le péché du monde, mais le verbe grec employé par saint Jean
dit beaucoup plus que cela; il nous dit comment Jésus enlève le péché. Il l’enlève en le
prenant sur lui, à notre place :
« Jean-Baptiste
voit Jésus qui avance parmi la foule et, inspiré d’en-haut, reconnaît en Lui
l’envoyé de Dieu, qu’il introduit avec ces paroles : « Voici l’Agneau de Dieu
qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29). Le verbe qui est traduit
par « enlève » signifie littéralement « soulever », « prendre sur soi ». Jésus
est venu dans le monde avec une mission précise : le libérer de l’esclavage du
péché, en se chargeant des fautes de l’humanité. De quelle façon ? En aimant.
Il n’y a pas d’autre façon de vaincre le mal et le péché sinon avec l’amour qui
pousse à donner sa vie pour les autres. Dans le témoignage de Jean-Baptiste,
Jésus a les traits du Serviteur du Seigneur, qui « portait nos souffrances, qui
s’est chargé de nos douleurs » (Is 53, 4), jusqu’à mourir sur la
croix. Il est le véritable agneau pascal, qui s’immerge dans le fleuve de notre
péché, pour nous purifier.
Dans le Nouveau Testament, le terme « agneau » revient
plusieurs fois et fait toujours référence à Jésus. Cette image de l’agneau
pourrait surprendre; en effet, un animal qui ne se caractérise pas par sa force
et sa robustesse porte sur ses épaules un poids si oppressant. La masse énorme
du mal est enlevée et emportée par une créature faible et fragile, symbole
d’obéissance, de docilité et d’amour sans défense, qui va jusqu’à se sacrifier
elle-même. L’agneau n’est pas un dominateur, mais il est docile ; il n’est pas
agressif, mais pacifique ; il ne montre pas les griffes ou les crocs quelle que
soit l’attaque, mais il supporte et est soumis. Et Jésus est ainsi! Jésus est
ainsi, comme un agneau.
Être disciples de l’Agneau signifie non pas vivre comme une «
citadelle assiégée », mais comme une ville sur un mont, ouverte, accueillante,
solidaire. Cela veut dire non pas prendre des attitudes de fermeture, mais
proposer l’Évangile à tous, en témoignant par notre vie que suivre Jésus nous
rend plus libres et plus joyeux. » (Pape François, Angelus
du dimanche 19 janvier 2014).
De nos
jours, le plus grand péché, selon moi, est l’athéisme, la négation volontaire
de l’existence de Dieu. Les athées qui se vantent d’être athées, sont les
personnes que, personnellement, j’ai le plus de difficulté à aimer. C’est
pourquoi je demande à ma sainte préférée, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et
de la Sainte Face, de me venir en aide, elle qui n’a pas craint de s’identifier
aux athées et de partager en quelque sorte leur condition:
« En
1896, un an avant de mourir, elle fait une expérience spirituelle majeure, pour
elle et l’Église de son temps: « Aux
jours si joyeux du temps pascal, Jésus m’a fait sentir qu’il y a véritablement
des âmes qui n’ont pas la foi ».
Elle découvre – et cela ne va pas de soi
pour une religieuse – qu’on peut « en toute bonne foi » ne pas croire
en Dieu. Cette prise de conscience la conduit à un approfondissement de sa
recherche spirituelle. Le croyant n’est pas un être à part mais quelqu’un qui
vit au milieu des autres. Elle comprend à frais nouveaux que la foi est
véritablement un don de Dieu. Cette expérience humaine et spirituelle va
modifier en profondeur sa relation avec Dieu.
Cette
conscience de l’incroyance, Thérèse l’a eue d’une manière singulière. Dans la
nuit du Vendredi saint, elle se met à cracher du sang. Elle pense mourir
bientôt, et voir Dieu face à face. Mais la joie de cette rencontre fait vite
place à l’angoisse et au doute. Thérèse se retrouve face à elle-même, face à sa
propre mort. Les questions peu à peu l’assaillent, et la jeune carmélite va
jusqu’à se demander si le Ciel existe.
« Avance, avance, réjouis-toi de la mort qui te
donnera non ce que tu espères mais une nuit plus profonde encore, la nuit du
néant. » Elle est au pied du mur.
Tous les beaux discours sur Dieu s’effondrent. Elle va mourir et sa question
est finalement la même que celle de millions d’autres gens: « Y a-t-il véritablement quelque chose
après la mort ? »
Cette
épreuve de foi, elle la relie à Dieu. C’est Lui qui, par amour, lui envoie
cette épreuve : « Il (Jésus)
permit que mon âme fût envahie des plus épaisses ténèbres et que la pensée du
ciel si douce pour moi ne soit plus qu’un sujet de combat et de tourment ».
Elle
attribue donc clairement cette épreuve à Dieu et non au démon, ce qui aurait
été plus commode et aurait correspondu à la théologie de son époque. Elle met
en pratique l’abandon dans sa radicalité. Son questionnement nouveau vient de
Dieu, ce doute vient de Dieu. Son épreuve la rend ainsi spirituellement
solidaire de ses contemporains. L’athéisme, la lutte contre Dieu, l’anticléricalisme
croissaient dans la France de l’époque et gagnaient bon nombre d’esprits.
Durant de
longues années, elle s’est crue du côté des âmes justes. Et elle découvre au
plus profond d’elle-même une aptitude à l’incroyance… Parce que tout croyant
est un incroyant qui s’ignore, elle fait de ce dernier un frère à aimer, à
respecter, à écouter.
« Seigneur, votre enfant l’a
comprise votre divine lumière, elle vous demande pardon pour ses frères, elle
accepte de manger aussi longtemps que vous le voudrez le pain de la douleur et
ne veut point se lever de cette table remplie d’amertume où mangent les pauvres
pécheurs !... Seigneur, renvoyez-nous justifiés… Que tous ceux qui ne
sont point éclairés du lumineux flambeau de la foi le voient luire enfin… S’il
faut que la table souillée par eux soit purifiés par une âme qui vous aime, je
veux bien y manger seule le pain de l’épreuve… »
Cette
lumière divine qu’a comprise Thérèse est l’amour universel et inconditionnel de
Dieu pour tous les hommes, les réprouvés, tous les assassins de la terre. Comme
elle a uni la miséricorde à la justice, elle lie la charité à la foi. Pour
Thérèse la foi n’est plus seulement de l’ordre de la connaissance mais surtout
de l’amour et de la confiance. Elle veut s’asseoir à la table des pêcheurs,
c’est-à-dire vivre avec eux, partager les questions, les doutes, les douleurs,
les errements de tous ceux qui tâtonnent en ce monde et cherchent un chemin et
un sens à leur existence. Ce partage de vie avec les pécheurs est le signe le
plus tangible de la proximité de Dieu, lui qui fait lever son soleil tant sur
les bons que les méchants. (1)
Questions pour un partage:
Ai-je tendance à me sentir
solidaire des pécheurs ou « séparé des pécheurs », mis à part ?
Qu’ai-je l’intention de faire
durant le merveilleux temps de l’Avent, pour manifester ma solidarité avec les
pécheurs?
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