Georgette Blaquière sur la jalousie
Je crois profondément au « kairos », mot grec signifiant le « moment favorable ». J’y
crois encore plus en tant que chrétien. Pour un chrétien, le temps est toujours
le temps de Dieu et l’être humain cherche à s’adapter au temps de Dieu, à faire
entrer le temps de Dieu dans sa vie. « Le
voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut » (2 Co 6,2).
Un bel anniversaire est à nos portes: demain, le 19 novembre, nous célébrerons la cinquième anniversaire
du décès de madame Georgette Blaquière et, je le crois, son entrée dans la
béatitude éternelle. Cet anniversaire m’aurait échappé si Martine, la fille de
madame Blaquière ne m’avait écrit un mot dernièrement (voir deux de mes récents blogues). Cet anniversaire est pour moi
l’occasion de me replonger un peu dans la pensée et les écrits de madame
Blaquière.
Hier, en lisant quelques pages du
livre de Georgette Blaquière intitulé « Prêtre pour l’Amour de Jésus et de
l’Évangile », j’ai fait une découverte qui me laisse un peu bouche bée.
Madame Blaquière est à mes yeux une spécialiste des Écritures Saintes. Pour
moi, un ou une spécialiste des Saintes Écritures, ce n’est pas d’abord
quelqu’un qui connaît le texte sacré grâce à l’exégèse. C’est cela aussi, bien sûr,
mais ce n’est pas d’abord cela à mes yeux. Le spécialiste de la Bible est pour moi quelqu’un
qui saisit le sens profond d’un texte biblique et qui sait l’adapter à la vie
courante et ce, de façon universelle.
En lisant hier ce qu’a écrit
madame Blaquière sur la parabole du Père Miséricordieux, aussi appelée la
parabole des deux fils ou la parabole du fils prodigue, j’ai finalement appris
à nommer spécifiquement en quoi consiste le péché du fils aîné de la parabole. J’ai
toujours été scandalisé du peu d’amour qu’avait ce fils aîné pour son père et
pour son frère, mais étrangement, je n’avais jamais réellement mis le doigt sur
son « péché capital » qui est la JALOUSIE. Comme
c’est étrange, n’est-ce pas, qu’un prêtre ordonné il y a de cela trente-quatre
ans, n’ait jamais découvert par lui-même ou grâce à d’autres personnes, que le
péché principal, capital du fils aîné de la parabole est la jalousie. Or il a
suffi que je lise quelques lignes de Georgette Blaquière, pour faire cette
heureuse et douloureuse découverte. Heureuse parce que c’est toute une lumière
dans ma vie, mais douloureuse à cause du fait que chaque être humain est tantôt
le fils cadet et tantôt le fils aîné. Le but de la parabole étant bien sûr que
nous devenions de plus en plus ici-bas, comme notre Père des cieux. Voici
quelques lignes de madame Blaquière:
Note: c’est moi qui ai inventé et mis les sous-titres en caractères gras; il y a des sous-titres dans le livre de madame Blaquière,
mais ils sont différents et placés à d'autres endroits.
La jalousie du fils
aîné:
« Le fils aîné est un bon
serviteur, dur à la tâche, un jeune homme sérieux qui n’a jamais le temps de se
distraire et de s’amuser et, comme il arrive souvent dans ce cas, il ne supporte
pas que les autres le fassent. Cela nous arrive parfois, ainsi l’algarade de
Marthe et Marie. Le plus grave n’est pas dans les paroles mais dans le cœur: en
réalité, « on était bien tranquille
depuis que le petit était parti. Alors, pourquoi faire tant d’histoires pour
son retour? » Ce qui est au cœur, c’est la jalousie.
La jalousie spirituelle est
certainement le poison de beaucoup de nos communautés chrétiennes et la racine
d’une sorte d’autodestruction des chrétiens par eux-mêmes: jalousie entre laïcs
et prêtres, entre hommes et femmes, entre paroisses, entre mouvements … Chacun
cherche à défendre son territoire et supporte mal la différence de l’autre.
C’est qu’en réalité, chacun voudrait être préféré, pas seulement aimé. Chacun
voudrait être approuvé et pas seulement reconnu. Comme s’il n’y avait pas assez
de place pour tout le monde sous le soleil de Dieu, comme si la moisson n’était
pas assez abondante pour que Pierre, Paul et Apollos trouvent chacun leur
place.
La jalousie spirituelle s’enracine
en de profondes blessures, dans beaucoup de souffrances, de déceptions, dans
une vie qui aurait voulu être tout entière donnée: « J’ai fait ce que j’ai pu, je t’ai servi fidèlement. Alors,
pourquoi lui et pas moi? »
Or, dans le Corps du Christ, nous
sommes tous dépendants les uns des autres. … Chacun de nous reçoit de son frère
ce qui lui manque, …
Notre Père:
La pointe
de la parabole, le but de cette parabole, est de nous révéler quelle sorte de
Père nous avons dans les cieux. Madame Blaquière continue ainsi :
Son
père sortit l’en prier.
Comment pouvons-nous entendre cette
phrase sans avoir « le cœur transpercé » par l’humilité de la
miséricorde de Dieu! Le Père est toujours dehors … sur le pas de la porte à
attendre le retour du petit, hors de la salle du festin pour aller chercher l’aîné
drapé dans sa dignité et sa colère. Le Père est un père humilié parce qu’Il est
l’Amour. Il vient nous prier …
Est-ce que j’écoute la prière de Dieu vers moi? Depuis le commencement
du monde, Dieu « sort » pour chercher et prier l’homme.
Je crois toujours que c’est moi qui le prie. Le bruit de mes paroles ne
risque-t-il pas d’étouffer la voix de Dieu au cœur de mon cœur?
Le Père dit au fils aîné : … « Tu
voulais un chevreau? Mais c’est ridicule, prends tout, prends tout l’héritage,
agis en fils, tu es ici chez toi. »
Jésus le vrai Fils aîné:
« Si le fils aîné avait aimé le
père, il lui aurait dit: « Père,
les moissons attendront. Tu es trop malheureux. Le petit, je vais aller « te »
le chercher et je le ramènerai. » Et il serait parti.
Voilà ce qu’a fait Jésus, le vrai Fils aîné qui aimait parfaitement le
Père. Toute la théologie de l’Incarnation rédemptrice est révélée là comme en
creux. …
Jésus est parti chercher et sauver celui qui était perdu. Il est allé
sur tous les chemins des hommes et quand Il l’a retrouvé, Il lui dit: « Souviens-toi du Père, Il t’aime, tu lui
manques, Il ne se console pas de ton départ. Il faut revenir à la maison. »
Le petit a répondu: « Après
ce que j’ai fait, Il ne peut plus m’aimer. » Jésus a repris: « Il t’aime toujours comme on aime quelqu’un d’un
« amour d’absence ». Il m’a envoyé te chercher. » Le petit a
répondu: « Je ne puis plus
revenir. Je suis devenu, ici, esclave pour garder les porcs. » Alors l’aîné
lui a répondu: « Je vais te
racheter à ton maître, je vais prendre sur moi ce contrat, je me ferai esclave
à ta place. »
Jésus a payé la cédule de notre
dette … (Col 2, 14). Il nous a arrachés à l’empire des ténèbres (Col 1,
13). Jésus n’a pas craint de prendre sur
lui l’odeur des porcs (c’est moi
qui ai mis ces mots en caractères gras). Lui qui était innocent, Il a pris
sur Lui le poids et la souillure de nos péchés: « Il a été transpercé à cause de nos péchés, écrasés à cause de nos
crimes, le châtiment qui nous rend la paix est sur Lui, et c’est grâce à ses
plaies que nous sommes guéris » (Is 53, 5). (Georgette Blaquière, Prêtre pour l'Amour de Jésus et de l'Évangile, Éditions du Lion de Juda, 1990, pp. 36-41)
Nous voyons ici à quel point
Georgette Blaquière est de notre temps et même avant son temps. Elle écrivait ces phrases en 1990, il y
a 27 ans. Or, on croirait entendre et lire le pape François. Le pape François n’arrête
pas de nous dire et ne se fatigue pas de nous dire que nous devons être des
chrétiens en « sortie », à l’image du Dieu des sorties.
Une des images les plus fortes
que j’ai reçue à date du pape François, est celle-ci: le prêtre, le
pasteur doit avoir l’odeur des brebis.
Cette expression est magnifique. Comme prêtre de paroisse, j’applique surtout
cette phrase à mes paroissiens. Je me dois de connaître mes paroissiens; je me
dois de me faire proche d’eux, au point d’avoir leur odeur, de prendre sur
moi leur odeur. Voilà ce qu’est un amour de proximité. Notre cher pape en
employant cette expression, veut sûrement dire que le pasteur doit aussi prendre soin des brebis qui ne sont pas de son enclos (Jn 10, 16), que le bon berger doit également prendre l’odeur des personnes qui sont loin de Dieu, loin de la foi.
Mais cela n’est pas dit aussi clairement que ne le fait madame Blaquière.
Georgette Blaquière, en disant que « Jésus
n’a pas craint de prendre sur lui l’odeur des porcs », va au maximum
de l’amour. Le porc était l’animal impur par excellence. Jésus a toujours côtoyé les personnes considérées à son époque comme étant impures et ne cesse de se faire proche des gens qui se sont éloignés de Lui. Il est allé loger chez Lévi (futur
Matthieu) et Zachée, deux publicains notoires. Jésus a été
considéré impur pour cela et a même été crucifié pour avoir fait cela. De même,
les pasteurs de notre temps ne doivent pas craindre de prendre l’odeur des porcs (le mot « porcs » désignant ici les personnes impures), l'odeur des personnes qui nient Dieu ou qui se vautrent dans le péché et de les côtoyer, les aimer et si possible, avec la grâce de Dieu, les sauver. Car
il y a impureté et impureté. Nous sommes tous impurs face à Dieu; telle est la
condition de l’être humain. Nous sommes tous pécheurs (Rm 3, 23), mais il y a
une grande différence entre l’être humain qui se reconnaît pécheur et cherche à
s’améliorer et l’être humain qui nie Dieu ou ne cherche pas du tout à se
convertir, à changer ce qui devrait être changé en lui.
Merci madame Blaquière, de jeter une telle lumière sur mon
rôle et ma mission de prêtre.
Questions pour
un partage: Madame Georgette Blaquière
met le doigt sur le péché qui mine de l’intérieur toutes les communautés
chrétiennes: la jalousie. Elle met aussi en lumière le péché principal du fils
aîné qui se croyait juste.
Quelle résonance ont en moi les paroles de madame
Blaquière?
Quelle lacune profonde habite le cœur d’une personne
jalouse?
"Depuis le commencement du monde, Dieu « sort » pour chercher et prier l’homme." Wow! Je me suis arrêté là pour savourer cette phrase qui va se retrouver dans mon travail sur la Révélation !
RépondreSupprimerCher Mathieu, si j'étais ton prof du cours sur la Révélation et que je lisais cette citation de Georgette Blaquière dans ton texte, je te donnerais un 10 ou un A+ automatique.
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