L’agonie de Jésus selon le cardinal
Newman
Le cardinal John Henry Newman est
un des auteurs qui ont le mieux décrit Jésus en son agonie au Jardin des
oliviers. Voici quelques lignes du cardinal Newman:
« Mais quel est-il, mes
frères, ce fardeau que Notre-Seigneur eut à porter quand II ouvrit ainsi Son
âme au torrent de cette souffrance prédestinée ? Hélas ! C’est un fardeau que
nous connaissons bien, qui nous est familier, mais qui pour Lui était un
tourment inexprimable. Il eut à porter un poids que nous portons si aisément,
si-naturellement, si volontiers que nous avons peine à nous le représenter sous
les espèces d’un grand tourment, mais qui, pour Lui, avait l’odeur empoisonnée
de la mort ; Il eut, mes chers frères, à porter le poids du péché; Il eut à
porter vos péchés; Il eut à porter les péchés du monde entier. Le péché nous
est léger; nous en faisons peu de cas; nous ne comprenons pas que le Créateur
en fasse si grand état ; nous ne parvenons pas à croire qu’il mérite d’être
châtié et, lorsqu’il reçoit pourtant son châtiment dès ce monde, nous trouvons
à cela quelque explication ou nous tournons notre esprit vers autre chose. Mais
considérez ce qu’est le péché en lui-même ; c’est une rébellion contre Dieu;
c’est le geste d’un traître qui cherche à renverser son souverain et à le
mettre à mort; c’est un acte qui, pour employer une forte expression, suffirait
à anéantir le Divin Maître du monde s’il le pouvait être. Le péché est l’ennemi
mortel du Très-Saint, en sorte que le péché et Lui ne peuvent demeurer
ensemble; …
En cette heure si redoutable,
donc, le Sauveur du monde se mit à genoux, rejetant les garanties de Sa
divinité, écartant malgré eux Ses anges prêts à répondre par myriades à Son
appel, ouvrant Ses bras et découvrant Sa poitrine pour S’exposer dans Son
innocence à l’assaut de l’ennemi – d’un ennemi dont le souffle était une
pestilence, dont l’embrassement était une agonie. Il était là à genoux,
immobile et silencieux, tandis que l’impur démon enveloppait Son esprit d’une
robe trempée dans tout ce que le crime humain a de plus haïssable et de plus
atroce, et qui se resserrait autour de Son cœur; tandis qu’il envahissait Sa
conscience, pénétrait dans tous les sens, dans tous les pores de Son esprit, et
étendait sur Lui sa lèpre morale, jusqu’à ce qu’il Se sentît presque devenu tel
qu’il ne pouvait être, tel que Son ennemi aurait voulu le faire devenir. Quelle
fut Son horreur lorsque, Se regardant, Il ne Se reconnut pas, lorsqu’il Se
sentit pareil à un impur, à un détestable pécheur, dans sa perception aiguë de
cet amas de corruptions qui pleuvaient sur Sa tête et ruisselaient jusqu’au bas
de Sa robe ! Quel fut Son égarement lorsqu’il vit que Ses yeux, Ses mains, Ses
pieds, Ses lèvres, Son cœur étaient comme les membres du méchant et non plus comme
ceux de Dieu ! Sont-ce là les mains de l’Agneau immaculé de Dieu, naguère
innocentes, mais rouges à présent de dix mille actes barbares et sanguinaires ?
Sont-ce là les lèvres de l’Agneau, ces lèvres qui ne prononcent plus ni
prières, ni louanges, ni actions de grâce, mais que souillent les jurons, les
blasphèmes et les doctrines démoniaques ? Sont-ce là les yeux de l’Agneau, ces
yeux que profanent les visions malignes et les fascinations idolâtres pour
lesquelles les hommes ont abandonné leur adorable Créateur ? Ses oreilles
retentissent du bruit des fêtes et des combats; Son cœur est glacé par
l’avarice, la cruauté et l’incrédulité; Sa mémoire même est chargée de tous les
péchés commis depuis la Chute
dans toutes les régions de la terre: de l’orgueil des anciens géants, de la
luxure des Cinq Villes, de l’endurcissement de l’Egypte, de l’ambition de
Babel, de l’ingratitude et du mépris d’Israël. Qui ne connaît la torture d’une
idée fixe qui revient et revient sans cesse, quoi qu’on fasse pour la chasser,
et qui nous obsède à défaut de pouvoir nous séduire ? Ou d’un phantasme
écœurant et odieux qui ne nous appartient en aucune manière, mais qui s’est
imposé du dehors à notre esprit ? Ou d’une connaissance fatale, acquise ou non
par notre faute, mais dont nous donnerions un grand prix pour être débarrassé
sur-le-champ et à jamais ? Voici les ennemis qui se pressent autour de Vous par
millions, ô mon Sauveur ! Qui s’abattent sur Vous en troupes plus nombreuses
que la sauterelle, le ver du palmier, ou ces plaies de grêlons, de mouches et
de grenouilles envoyées contre Pharaon. Tous les péchés des vivants, des morts,
et de ceux qui ne sont pas encore nés, des damnés et des élus, de Votre peuple
et des peuples étrangers, des pécheurs et des saints, tous les péchés sont là.
Et Vos bien-aimés sont là eux aussi: Vos saints, Vos élus, Vos trois apôtres
Pierre, Jacques et Jean, non pour Vous consoler, mais pour Vous accabler, «
lançant la poussière contre le ciel » comme les amis de Job, et entassant des
malédictions sur Votre tête. Ils sont tous là, hormis une créature; une seule
créature n’est plus là, une seule; car Elle, qui n’a jamais eu part au péché,
Elle seule pourrait Vous consoler, et c’est pourquoi Elle n’est pas là. Elle
viendra près de Vous quand Vous serez sur la Croix , mais au Jardin Elle restera éloignée de
Vous. Elle a été Votre compagne et Votre confidente pendant toute Votre vie,
Elle a échangé avec Vous les pures pensées et les saintes méditations de trente
années; mais Son oreille virginale ne saurait saisir, ni Son cœur immaculé
concevoir ce qui s’offre à présent à Votre vue. Il n’y avait que Dieu qui pût
porter ce fardeau; Vous avez parfois présenté à Vos saints l’image d’un seul
péché tel qu’il apparaît à la lumière de Votre Face, l’image d’un péché véniel,
non pas mortel; et ils nous ont dit que ce spectacle faillit les tuer, qu’en
vérité il les aurait tués s’il n’avait été aussitôt écarté de leur regard. La Mère de Dieu, malgré toute Sa
sainteté; ou plutôt à cause de Sa sainteté, n’aurait pu supporter la vue d’un
seul de ces innombrables suppôts de Satan qui Vous entourent. En vérité, c’est
la longue histoire d’un monde, et il n’y a que Dieu qui en puisse supporter le
poids. Espoirs déçus, vœux rompus, lumières éteintes, avertissements dédaignés,
occasions manquées; innocents trompés, jeunes gens endurcis, pénitents qui
retombent, justes accablés, vieillards égarés; sophismes de l’incroyance,
emportement des passions, opiniâtreté de l’orgueil, tyrannie de l’habitude, ver
rongeur du remords, fièvre des soins mondains, angoisse de la honte, amertume
de la déception, affres du désespoir; telles sont les scènes cruelles,
pitoyables, déchirantes, révoltantes, détestables, insanantes qui, toutes
ensemble, s’offrent à Lui. Et les faces hagardes, les lèvres convulsées, les
joues enflammées, le front sombre des victimes volontaires de la rébellion sont
sur Lui, sont en Lui. Elles remplacent auprès de Lui cette paix ineffable qui
n’a pas cessé d’habiter Son âme depuis Sa conception. Elles sont sur Lui, elles
semblent presque Siennes. Il invoque Son Père comme s’II était le criminel, non
la victime; Son agonie prend l’apparence de la culpabilité et de la
componction. Il fait pénitence, Il Se confesse. Il fait acte de contrition
d’une manière infiniment plus réelle, infiniment plus efficace que tous les
saints et tous les pénitents ensemble; car II est pour nous tous l’unique
victime, le seul holocauste expiatoire, le vrai pénitent – sans être pourtant
le vrai pécheur.
Il Se relève languissamment,
et Se retourne pour voir le traître et sa bande qui se glissent furtivement
dans l’ombre profonde. Il regarde, et voici qu’il voit du sang sur Sa robe et
sur la trace de Ses pas. D’où viennent ces prémices de la passion de l’Agneau ?
Les verges des soldats n’ont pas encore touché Ses épaules, ru les clous du
bourreau Ses mains et Ses pieds. Mes frères. Il a répandu Son sang avant
l’heure, oui, Il a répandu Son sang, et c’est Son âme agonisante qui a brisé Sa
charpente de chair pour le faire jaillir au dehors. Sa passion a commencé au
dedans de Lui-même. Ce cœur supplicié, siège de tendresse et d’amour, s’est mis
à palpiter, à battre avec une véhémence qui dépasse sa nature; «les sources du
grand abîme se sont rompues»; les ruisseaux de sang se sont rués avec tant
d’abondance et de fureur qu’ils ont débordé les veines, jailli par les pores et
formé une rosée épaisse sur toute la surface de Son corps; puis des gouttes ont
coulé, pleines et pesantes, inondant le sol. « Mon âme est triste jusqu’à la
mort » dit-Il. On a dit de la terrible épidémie qui nous accable présentement,
qu’elle commence par la mort, marquant par là qu’elle ne connaît pas de phases
ni de crises, que tout espoir est perdu dès qu’elle se déclare, et que ce qui
apparaît comme une évolution n’est qu’agonie mortelle et processus de
dissolution. De même, quoi-qu’en un sens beaucoup plus élevé, notre Victime
Expiatoire commença par cette passion de douleur; et si Elle n’en mourut pas,
c’est que Sa toute-puissante volonté interdit à Son cœur de se briser et à Son âme
de se séparer de Son corps avant qu’Elle eût souffert sur la Croix
Non, Notre-Seigneur n’a pas encore épuisé le
plein calice dont Sa faiblesse naturelle s’était d’abord détournée.
L’arrestation, la mise en accusation, le soufflet, la prison, le jugement, les
moqueries, le renvoi d’un lieu à l’autre, la flagellation, la couronne
d’épines, la lente montée au Calvaire et le crucifiement; tout cela est encore
à venir. Il faut qu’une nuit et un jour s’écoulent lentement, heure par heure,
avant que la fin vienne, avant que l’expiation soit consommée. Puis, quand le
moment fixé fut venu et qu’il en eut donné l’ordre, Sa passion finit avec Son
âme comme elle avait commencé avec elle. Il ne mourut pas d’épuisement
corporel, ni de douleur corporelle; Son cœur supplicié se brisa, et II
recommanda Son Esprit au Père.
O
Cœur de Jésus, ô Vous Tout Amour, je Vous offre ces humbles prières pour
moi-même et pour tous ceux qui s’unissent à moi en esprit pour Vous adorer. O
Très-Saint Cœur de Jésus Très-Aimable, je me propose de renouveler et de Vous
offrir ces actes d’adoration et ces prières, pour moi-même, misérable pécheur
que je suis, et pour tous ceux qui sont associés dans Votre adoration, je me
propose de les renouveler à tous moments et jusqu’à mon dernier souffle. Je
Vous recommande, ô mon Jésus, la Sainte Eglise , Votre chère Epouse et notre vraie
Mère, les âmes qui pratiquent la justice, tous les pauvres pécheurs, les
affligés, les mourants et tout le genre humain. Ne souffrez pas que Votre sang
ait été versé pour eux en vain. Et daignez enfin en appliquer les mérites au
soulagement des âmes du Purgatoire, particulièrement à celles qui, au cours de
leur vie, Vous ont dévotement adoré.
John
Henry Newman, Discourses to Mixed Congregations, 12, (1)
(1)
Les souffrances morales de Notre-Seigneur dans sa Passion
www.newmanfriendsinternational.org/french/?p=154
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