Pourquoi confirmer des non croyants?
Quel titre bizarre, n’est-ce pas?
Comment un prêtre peut-il en arriver à se poser une telle question? J’avoue que
c’est là un mystère. Et le mystère persiste car je me demande comment j’ai pu
ces dernières années, mettre tant de temps à préparer de jeunes adultes au
sacrement de la confirmation alors qu’ils ne croyaient pas à la divinité de
Jésus.
Car c’est de cela qu’il s’agit
ici: de donner le sacrement de la confirmation à des personnes baptisées mais
qui n’ont pas en elles la foi reçue en germe le jour de leur baptême.
Oui, j’ai fait cela comme prêtre: j'ai envoyé de jeunes adultes à la cathédrale de Montréal pour qu'ils soient confirmés, en sachant que certains d'entre eux n'avaient pas la foi chrétienne. Il m'est arrivé aussi de préparer à la confirmation de jeunes adultes qui avaient la foi et ce fut une très belle expérience. Mais j'ai aussi malheureusement envoyé des personnes recevoir la confirmation en sachant qu'elles n'avaient pas ce que j'appelle "le minimum" de la foi chrétienne. Et pour moi, ce minimum consiste dans le fait de croire que Jésus est Dieu. Pour comprendre un peu pourquoi j'ai agi ainsi depuis quelques années, il faut connaître un peu l'état de la situation au Québec. Les
informations qui suivent, ne permettront pas à tous de comprendre ce que je vis
et ce que j’ai vécu, mais elles donneront un certain éclairage.
Le Québec est, à ce qu’on dit, la
nation qui dans l’histoire moderne, est passée le plus rapidement et le plus
drastiquement d’une société où la grande majorité des citoyens étaient « catholiques pratiquants » (entendre
ici par « pratiquants »: qui allaient à la messe dominicale à
chaque semaine), à une société où la grande majorité des baptisés n’ont pas la foi chrétienne. Au risque de me répéter, il
est important de savoir que pour moi, la foi chrétienne réside essentiellement
en ceci: croire que Jésus est Dieu, que Jésus est Dieu fait homme.
Je prépare des couples au baptême
de leurs enfants. Voici l’expérience que je vis en paroisse depuis trois ans.
Voici une rencontre typique: j’ai devant moi quinze jeunes adultes, parents,
parrains et marraines. Je les salue, nous faisons connaissance. Chaque personne
se nomme, dit ce qu’elle fait dans la vie, où elle demeure, si c’est leur
premier enfant, etc. Ensuite je m’informe auprès d’eux pour savoir s’ils ont reçu
une éducation religieuse à l’école. La plupart ont eu une éducation
religieuse. Je leur demande alors ce qu’ils savent sur Jésus. Qui est Jésus
pour eux? La réponse la plus belle et la plus commune que je reçois, est
celle-ci: « Jésus est le Fils de
Dieu ». Je leur dis que cette réponse est très vraie et très juste. Et
je leur pose alors la question suivante: « Mais Jésus est-il Dieu? » Et je demande une réponse d’un mot:
OUI ou NON. Sur quinze personnes présentes, quatorze répondent catégoriquement
NON. C’est quand même incroyable, n’est-ce pas? Ces gens ont eu une éducation
religieuse (et ici par religieuse,
j’entends bel et bien une éducation chrétienne) et il semble qu’on ne leur
ait jamais dit clairement que Jésus est Dieu, Dieu fait homme.
Voilà la situation. Or de jeunes
adultes tout à fait semblables à ceux que je viens de décrire, donnent leurs
noms pour devenir parrains et marraines de baptême. Cela implique qu’ils
doivent avoir reçu le sacrement de la confirmation. Or plusieurs d’entre eux ne
sont pas confirmés. Vous voyez le problème, n’est-ce pas? Jusqu’à maintenant,
j’accueillais ces demandes de façon favorable. J’accueillais de jeunes hommes
et de jeunes femmes adultes, et je les préparais à la confirmation en vue d’être
parrains ou marraines. Je prenais cette préparation au sérieux, en
ce sens qu’elle durait quelques mois à raison d’une rencontre par semaine. Mais
j’étais bel et bien conscient que je ne pouvais pas donner la foi chrétienne à des
personnes qui ne l’ont pas. Tout au plus pouvais-je leur enseigner ce que croit
l’Église et ce que devrait croire un chrétien. Tout ce temps consacré à
instruire, mais non pas à éduquer, car pour moi l’éducation s’adresse d’abord au
cœur, a fait en sorte qu’en ce moment, je suis épuisé et même quelque peu
dégoûté d’avoir mis tant d’énergies à la mauvaise place. Ces jeunes adultes ont
reçu le sacrement de la confirmation sans avoir en eux ce que j'appelle le minimum de la foi
chrétienne. Je doute très fort (pour ne pas dire que je suis certain) qu'ils aient été transformés par l'Esprit Saint alors qu'ils ne croient pas en l'Esprit Saint. Je leur ai dit, bien sûr, que l'Esprit Saint existe, mais je suis absolument incapable de leur donner la foi en Lui. Quelqu'un me dira peut-être: " Comment fais-tu pour savoir ou pour dire qu'ils ne croient pas en l'Esprit Saint? " Il est vrai que je ne peux pas le savoir de façon certaine, mais il existe des signes assez clairs pour le penser. Si au bout de quelques mois de formation, une personne n'est pas convaincue que Jésus soit Dieu, il y a de fortes chances pour qu'elle ne croit pas non plus en l'Esprit Saint. N'est-ce pas Jésus qui nous a révélé l'existence de la troisième Personne de la Trinité?
Les sacrements sont essentiellement les « sacrements de la foi ». C’est ce que nous enseigne le Concile Vatican II:
Les sacrements sont essentiellement les « sacrements de la foi ». C’est ce que nous enseigne le Concile Vatican II:
« 59. Nature des sacrements
Les
sacrements ont pour fin de sanctifier les hommes, d’édifier le Corps du Christ,
enfin de rendre le culte à Dieu; mais, à titre de signes, ils ont aussi un rôle
d’enseignement. Non seulement ils
supposent la foi, mais
encore, par les paroles et les choses, ils la nourrissent, ils la fortifient,
ils l’expriment; c’est
pourquoi ils sont dits sacrements de la foi. Certes, ils confèrent la
grâce, mais, en outre, leur célébration dispose au mieux les fidèles à recevoir
fructueusement cette grâce, à rendre à Dieu le juste culte, et à exercer la
charité. (Sacrosanctum
concilium, no. 59)
Voilà le centre de la question et voilà où, très souvent, le bât blesse.
Voilà le centre de la question et voilà où, très souvent, le bât blesse.
Depuis des années, j’alimente une
confusion et une façon magique de concevoir la religion. C’est une grave erreur
à mes yeux. J’ai perdu mon temps à faire cela et j’ai contribué à tromper des
personnes et ma Mère l’Église. Car le jour de la confirmation, les personnes
que j’ai préparées ont affirmé du bout des lèvres qu’elles croyaient au Père, à
Jésus, à l’Esprit Saint, à l’Église, à la communion des saints et à la
résurrection de la chair, mais sans y croire du fond de leur cœur. Je suis
responsable de cette mascarade.
Que Dieu ait pitié de moi !
Certains me diront que ce que
j’ai fait n’est pas tout à fait perdu. Je le crois. Mais mes énergies en tant
que prêtre, auraient dû être orientées ailleurs et autrement. Nous sommes clairement appelés au Québec à évangéliser et non pas à "sacrementaliser" (veuillez excuser cette erreur de français qui sera peut-être un jour un néologisme). Je pense qu'on se retrouve un peu comme au début de la chrétienté et qu'on devrait davantage méditer cette phrase de saint Paul: "Le Christ ne m'a pas envoyé baptiser mais évangéliser " (1 Co 1, 17)
J’ai déjà exprimé sur mon blogue,
il y a de cela trois ans et demi, ma souffrance et ma frustration face à ma façon de
guider certains membres de mon troupeau, dans un blogue intitulé: "Je veux
être marraine " (1). Cela montre qu’une souffrance, à force de grandir en
nous, ne peut que nous épuiser, nous faire prendre conscience de certaines
choses et nous conduire à changer notre façon de faire.
Post scriptum: Je continuerai à rencontrer personnellement les jeunes adultes qui expriment le désir de devenir marraines ou parrains, mais je serai très clairs avec eux sur ce que je vis depuis quelques années. J'essaierai de leur faire comprendre que le plus important, ce n'est pas tellement pour le moment de savoir s'ils veulent être parrains ou marraines, mais de savoir s'ils veulent être confirmés. Et s'ils veulent être confirmés, pourquoi le veulent-ils? La confirmation chez un adulte, doit répondre à certaines exigences.
Post scriptum: Je continuerai à rencontrer personnellement les jeunes adultes qui expriment le désir de devenir marraines ou parrains, mais je serai très clairs avec eux sur ce que je vis depuis quelques années. J'essaierai de leur faire comprendre que le plus important, ce n'est pas tellement pour le moment de savoir s'ils veulent être parrains ou marraines, mais de savoir s'ils veulent être confirmés. Et s'ils veulent être confirmés, pourquoi le veulent-ils? La confirmation chez un adulte, doit répondre à certaines exigences.
Une
bonne amie qui est religieuse et qui a les deux pieds sur terre, a réagi à mon
texte. Je reproduis ici deux de ses phrases :
« Si je veux confirmer.... dans le sens de
certifier.... quelque chose, c'est que j'ai tenu à des engagements.
Faites attention à votre santé et continuez de dire aux
personnes qu'il n'est pas logique de
vouloir accéder à un sacrement sans savoir ce qu'il veut dire, sans savoir ce
qu'il est et surtout en sachant que rien ne continuera. »
(1)
Dieu ma joie: Je veux être marraine
dieumajoie.blogspot.com/2012/12/je-veux-etre-marraine.html
Cher ami,
RépondreSupprimerCe texte-choc est le cri du coeur que je t'ai maintes fois entendu lancer. Mais cette fois-ci, bien qu'émotif, les idées sont claires, pesées.
Plusieurs pensées me viennent en lisant ton texte:
1. Tu as raison de dire qu'il faut revenir au temps de l'Église primitive, du moins au Québec, où le besoin n'est plus dans les services que l'Institution offrait à la société, de par sa mission engendrée par les fruits germés d'une foi sincère. Nous devons revenir à une Église primitive, celle qui a été fondée par un mouvement du coeur qui dit: "Oui, je le veux, Jésus mon Seigneur et mon Dieu! Baptisez-moi, mon frère dans le Christ ressuscité!" Dieu soit loué que l'enseignement religieux ne soit plus obligatoire au Québec! Les églises sont moins pleines, soit, mais comme on dit, je préfère la qualité que la quantité !
2. Les membres du clergé, libérés du fardeau des services sociaux institutionnalisés, peuvent désormais, comme tu l'as si bien exprimé, se concentrer à l'évangélisation. Notre mission de Chrétiens, je le crois viscéralement, est de témoigner des fruits de notre rencontre avec le Christ, moins dans nos paroisses, mais davantage là où il y a des gens à convaincre. Oui, exactement à l'image des apôtres et des premiers disciples: dans la société païenne, là où les gens ont, mûs par une intuition "qu'il y a une puissance supérieure à nous-mêmes", inventé des idoles et des faux-dieux. À nous de leur faire connaître, par notre exemple et notre témoignage plus que par des cours obligatoires pour obtenir des services disponibles de toute manière dans la société civile, ce Dieu miséricordieux: Papa, Fils, et Souffle.
Courage, mon ami! Nous voilà, plus que jamais, missionnaires en terre Païenne! Et je pense que tu es bien parti, notamment avec les Cellules Paroissiales d'Évangélisation!
P.s. Jésus lui-même n'enseignait-il pas à ses frères Juifs ce que leur religion signifiait vraiment, au delà des signes, gestes et traditions qu'ils pouvaient poser sans en peser le sens profond...? Jésus nous enseigne que l'on peut compter sur notre Papa, qu'il est toujours là pour nous et que nous pouvons avoir une relation personnelle avec Lui. C'est le message que je m'efforce de partager à tous les jours.
Je nous souhaite, à toute notre communauté de missionnaires, bonne chance!