jeudi 8 novembre 2018

" Tout cela, je le considère comme de la merde "

« Tout cela, je le considère comme de la merde »

La « langue de bois », le langage « politiquement correct », n’est pas l’apanage seulement des politiciens. Nous utilisons aussi dans l’Église catholique un tel langage. Et c’est dommage. Nos frères et sœurs protestants semblent moins pointilleux ou scrupuleux que nous sur ce point. 

Nous utilisons un nouveau lectionnaire pour la liturgie. Parfois cette nouvelle traduction me semble meilleure que l’ancienne. Mais aujourd’hui, alors que nous avons entendu en première lecture de la messe un des textes les plus forts écrits par saint Paul, je juge la nouvelle traduction décevante. Au verset 8 du chapitre 3 de sa lettre aux Philippiens, saint Paul veut nous montrer à quel point tous les titres de gloire qu’il possédait auparavant dans le judaïsme, ne valent plus rien pour lui, absolument rien. Il y a un crescendo au verset 8 et la nouvelle traduction liturgique de ce verset, ne laisse absolument pas deviner ce crescendo.

Voici la traduction liturgique du verset 8 du chapitre 3 de la lettre de saint Paul aux Philippiens :

Mais tous ces avantages que j’avais,
je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte.
Oui, je considère tout cela comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout :
la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur.

Et voici en son entier, la PREMIÈRE LECTURE de la messe d'aujourd'hui: 


Lecture de la lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens
Frères,
    c’est nous qui sommes les vrais circoncis,
nous qui rendons notre culte par l’Esprit de Dieu,
nous qui mettons notre fierté dans le Christ Jésus
et qui ne plaçons pas notre confiance dans ce qui est charnel.
    J’aurais pourtant, moi aussi, des raisons
de placer ma confiance dans la chair.
Si un autre pense avoir des raisons de le faire,
moi, j’en ai bien davantage :
    circoncis à huit jours,
de la race d’Israël,
de la tribu de Benjamin,
Hébreu, fils d’Hébreux ;
pour l’observance de la loi de Moïse, j’étais pharisien ;
    pour ce qui est du zèle, j’étais persécuteur de l’Église ;
pour la justice que donne la Loi, j’étais devenu irréprochable.
    Mais tous ces avantages que j’avais,
je les ai considérés, à cause du Christ, comme une perte.
    Oui, je considère tout cela comme une perte
à cause de ce bien qui dépasse tout :
la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur.
            – Parole du Seigneur.  (1)

Comme vous pouvez le voir ci-dessus, la nouvelle traduction liturgique emploie deux fois le mot « perte ». Selon moi, c’est une erreur car ainsi, on ne voit aucun crescendo. Voici le texte dans l’original grec et sa traduction en français : 

Ἀλλὰ μὲν (μὲν οὖν  μενοῦνγε) οὖν καὶ ἡγοῦμαι πάντα ζημίαν εἶναι διὰ τὸ ὑπερέχον τῆς γνώσεως χριστοῦ Ἰησοῦ τοῦ κυρίου μου: δι’ ὃν τὰ πάντα ἐζημιώθην, καὶ ἡγοῦμαι σκύβαλα εἶναι, (εἶναι ἵνα  ἵνα) ἵνα χριστὸν κερδήσω,

Et même je regarde toutes choses comme une perte, à cause de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ, mon Seigneur, pour qui j'ai fait la perte de toutes choses ; et je les regarde comme des ordures, afin que je gagne Christ,

Zemia (deuxième mot de la troisième ligne) = perte

Skubala (premier mot de l’avant-dernière ligne) = déchets, ordures, MERDE.

Les auteurs protestants que je viens de consulter favorisent le mot « merde » pour traduire le mot « skubala », qui, paraît-il, n’est employé qu’une seule fois dans le Nouveau Testament. Skubala est un pluriel et lorsque ce mot est employé au pluriel, il désigne habituellement des excréments humains: 

« Le langage, imagé, est dur, radical. Et encore, nos traductions arrondissent un peu les angles. Le terme grec traduit par ordures n’apparaît qu’ici dans le Nouveau Testament. Mais on le trouve dans d’autres textes de l’Antiquité pour désigner les excréments, avec souvent une connotation de révulsion. L’affirmation de Paul a un caractère choquant, il veut secouer ses lecteurs. Et il serait presque légitime de le traduire ainsi : « je considère toutes ces choses-là comme de la merde ! » 

Ici se manifeste sa détermination. Une seule chose compte : connaître le Christ. Tout le reste, tout ce qui pourrait le détourner de cet unique objectif, tout ce qui pourrait l’égarer, le distraire, il le rejette. Il en a presque du dégoût. Bien-sûr, il force le trait. Il provoque. Et nous interpelle… Quelle place la recherche du Christ, sa connaissance personnelle et intime, occupe-t-elle dans notre vie, nos préoccupations, nos projets ? » (2).
Voir aussi le texte de Daniel B. Wallace (3).

Pourquoi ces auteurs protestants favorisent-ils le mot « merde » plutôt que les mots « ordures » ou « balayures »? C’est parce que selon eux, saint Paul veut ici exprimer non pas seulement la non-valeur de sa vie passée, mais aussi son dégoût de sa vie passée. Et pour exprimer ce « dégoût », il a voulu employer le mot skubala : « merde ».
SCYBALES:  Grec : skubala : excréments (4).
Au risque de scandaliser certaines personennes, j’avoue que je penche vers cette interprétation. Malheureusement, il n’est pas facile de trouver des auteurs catholiques qui partagent cette façon de voir. Je suis allé jeter un coup d'oeil sur ce que dit l'abbé Noël Quesson dans ses commentaires des Écritures, publiés en 1975, sous le titre: Parole de Dieu pour chaque jour. Au tome 4, en ce jeudi de la 31ème semaine, il écrit ceci :

« Tous ces « avantages humain » lui paraissent désormais « dérisoires ». Dans le texte grec authentique, le mot est beaucoup plus fort (NDLR : « beaucoup plus fort que le mot perte) : « je n’y vois plus désormais qu’« ordures », « choses de rebut », « immondices », « balayures ». Et le mot latin de la traduction de saint Jérôme avait traduit par « stercora », qui veut dire « fumier ». 

Il me semble très possible et même probable que saint Paul ait utilisé le mot " skubala " pour nous réveiller et nous secouer.  

AJOUT: Je vous invite à lire le commentaire que m'a écrit une de mes paroissiennes. Voir tout en bas. 

Et voici ma réponse à son commentaire: 

Chère Thérèse, comme je vous aime pour votre franchise. Comme j'aimerais que tous mes paroissiens soient aussi francs que vous avec moi. Je suis bien d'accord avec vous pour dire que rien en ce monde n'est de la MERDE. Absolument rien. Le texte le plus fort en ce sens, selon moi, se trouve dans la Bible au Livre de la Sagesse, chapitre 11, versets 24 à 26. Le point que je voulais soulever dans le présent blogue, c'est que selon moi, on doit respecter les mots choisis par saint Paul. On peut ne pas être d'accord avec lui, mais on doit respecter les mots qu'il a choisis. Or il me semble vraiment que saint Paul a choisi volontairement le mot " MERDE " pour décrire la façon dont il perçoit sa vie antérieure à sa conversion. Pour lui, tout cela était de la merde: tout cet effort à se sauver par soi-même, à faire emprisonner et tuer des chrétiens; à se réjouir de voir mourir devant ses yeux le premiers de tous les martyrs: saint Étienne. Quand il compare tout cela à sa vie avec le Christ et dans le Christ, il compare cela à de la merde. Personnellement, je trouve cela très beau de voir les choses ainsi. Mais la question n'est pas tellement de savoir si c'est beau ou non, mais de savoir si on doit respecter les mots choisis par l'Apôtre des nations.  


(1) AELF — Accueil : lectures du jour  

https://wwwaelf.org/
  
(2) Paul : The Revenant | EEL Toulouse https://eeltoulouse.fr/?p=731

(3) A Brief Word Study on Σκύβαλον | Bible.org https://bible.org/article/brief-word-study-skuvbalon

(4) Scybales - Vulgaris Médical https://www.vulgaris-medical.com › Encyclopédie médicale

 

5 commentaires:

  1. J'ai beaucoup de difficulté à accepter que le monde tel qu'imaginé et manifestation divine soit de la merde. L'incarnation de Jésus dans ce monde charnel est la preuve qu'il ne s'y serait pas associé si ce dernier n'aurait été qu'ordure. Je peut admettre que toute vie qui ne tend pas à la recherche de l'union avec Dieu soit vide de sens mais jamais je ne la qualifierais de merde même écrit en grec. Mis à part l'événement au temple quand il avait douze ans Jésus a vécu une vie ordinaire jusqu'à l’âge de 30 ans; bon il n'avait pas besoin de chercher l'union avec Dieu puisque lui et le père ne font qu'Un mais parfois même moi j'ai tendance à croire que le Père et moi devrions faire qu'un, car toute création appartient à son créateur et Dieu à de fort droits d'auteur sur ma personne.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chère Thérèse, comme je vous aime pour votre franchise. Comme j'aimerais que tous mes paroissiens soient aussi francs que vous avec moi. Je suis bien d'accord avec vous pour dire que rien en ce monde n'est de la MERDE. Absolument rien. Le texte le plus fort en ce sens, selon moi, se trouve dans la Bible au Livre de la Sagesse, chapitre 11, versets 24 à 26. Le point que je voulais soulever dans le présent blogue, c'est que selon moi, on doit respecter les mots choisis par saint Paul. On peut ne pas être d'accord avec lui, mais on doit respecter les mots qu'il a choisis. Or il me semble vraiment que saint Paul a choisi volontairement le mot " MERDE " pour décrire la façon dont il perçoit sa vie antérieure à sa conversion. Pour lui, tout cela était de la merde, tout cet effort à se sauver par soi-même, à faire emprisonner et tuer des chrétiens; à se réjouir de voir mourir devant ses yeux le premiers de tous les martyrs: saint Étienne. Quand il compare tout cela à sa vie avec le Christ et dans le Christ, il compare cela à de la merde. Personnellement, je trouve cela très beau de voir les choses ainsi. Mais la question n'est pas tellement de savoir si c'est beau ou non, mais de savoir si on doit respecter les mots choisis par l'Apôtre des nations.

      Supprimer
    2. Ouf ! un texte puissant, un véritable coup de poing en pleine figure... pour ce texte de Paul. J'en suis estomaquée quelque peu. Mais, comme vous diriez ou dites, cher Guy, pourquoi ne pas utiliser effectivement les véritables définitions de termes d'une autre langue, d'autant plus que peu peuvent traduire ces mots. La langue de bois, trop et très souvent, est utilisée pour amoindrir le véritable sens des mots dans une situation donnée, et c'est assez dommage, oui. Ne dit-on pas également qu'il faut appeler un chat, un chat ? Merci de ce blog qui m'a interpellée !

      Supprimer
    3. Chère Colette, j'ai même entendu quelque part que lorsque deux traductions d'un texte biblique diffèrent, on devrait accorder plus de crédibilité au texte qui nous paraît plus surprenant ou choquant.

      Supprimer
    4. Et bien, effectivment ça me semble surprenant et intéressant votre réponse (sourires) cher Guy, je ne viens que de la lire. Merci.

      Supprimer