Le Saint-Suaire: Icône d’Amour
Je viens tout
juste de recevoir un mot de mon frère Luc qui est prêtre dans le diocèse de
Québec. Il travaille aux Services
diocésains. Il vient de m’envoyer le mot qu’il a écrit au personnel des Services diocésains, pour la rentrée. Voici
le début de son message:
Aujourd’hui, dans le Journal de
Québec, la pensée du jour est celle d’un illustre inconnu. On y
lisait :
Traitez la vie comme la pellicule
d’un vieil appareil photo. Développez un positif à partir du négatif (Auteur anonyme)
Que nous réserve cette nouvelle
année pastorale ?
Heureux et heureuses sommes-nous de
savoir qui est notre Photographe ! Le plus Professionnel des professionnels.
Capable de faire surgir la vie du néant. La clarté, de l’obscurité. La
grâce, du péché. Le possible, de l’impossible. La vie, de la mort. Pour lui,
toutes les photos sont développables. Et le développement
gratuit en plus. Quelle joie d’y croire, chers camarades.
Luc a reçu la
réponse ci-dessous de la part de l’archiviste du diocèse :
En parlant du photographe, je
lisais hier dans La force du silence; contre la dictature du
bruit (Cardinal Sarah) une citation de Benoît XVI sur le Saint-Suaire
(homélie à Turin en 2010?) disant à peu près ceci :
"Le Saint-Suaire
est une icône écrite avec le sang. Il a un négatif et un positif. C’est une
parole silencieuse de Dieu qui dit la victoire de la résurrection sur les
situations les plus sombres ..."
Pierre
Pierre
Ayant lu durant
mes vacances le livre de madame Barbara Frale, intitulé Le Suaire de Jésus de
Nazareth, les propos de cet archiviste m’ont intrigué et je suis allé
chercher sur l'internet, la méditation que le pape Benoît XVI a faite en vénérant le Saint-Suaire.
Cette méditation est très belle; je tenais donc à vous la partager.
VISITE
PASTORALE À TURIN
VÉNÉRATION
DU SAINT-SUAIRE
MÉDITATION
DU PAPE BENOÎT XVI
Dimanche
2 mai 2010
Chers amis,
C'est pour moi un moment très attendu. En diverses autres occasions, je me suis
trouvé face au Saint-Suaire, mais cette fois, je vis ce pèlerinage et cette
halte avec une intensité particulière: sans doute parce que les années
qui passent me rendent encore plus sensible au message de cet extraordinaire
Icône; sans doute, et je dirais surtout, parce que je suis ici en tant que
Successeur de Pierre, et que je porte dans mon cœur toute l'Église, et même
toute l'humanité. Je rends grâce à Dieu pour le don de ce pèlerinage et
également pour l'occasion de partager avec vous une brève méditation qui m'a
été suggérée par le sous-titre de cette Ostension solennelle: " Le mystère du Samedi Saint ".
On peut dire que
le Saint-Suaire est l'Icône de ce mystère, l'Icône du Samedi Saint. En effet,
il s'agit d'un linceul qui a enveloppé la dépouille d'un homme crucifié
correspondant en tout point à ce que les Évangiles nous rapportent de Jésus,
qui, crucifié vers midi, expira vers trois heures de l'après-midi. Le soir
venu, comme c'était la Parascève, c'est-à-dire la veille du sabbat solennel de
Pâques, Joseph d'Arimathie, un riche et influent membre du Sanhédrin, demanda
courageusement à Ponce Pilate de pouvoir enterrer Jésus dans son tombeau neuf,
qu'il avait fait creuser dans le roc à peu de distance du Golgotha. Ayant
obtenu l'autorisation, il acheta un linceul et, ayant descendu le corps de
Jésus de la croix, l'enveloppa dans ce linceul et le déposa dans le tombeau
(cf. Mc 15, 42-46). C'est ce que rapporte l'Évangile de saint Marc, et les
autres évangélistes concordent avec lui. A partir de ce moment, Jésus demeura
dans le sépulcre jusqu'à l'aube du jour après le sabbat, et le Saint-Suaire de
Turin nous offre l'image de ce qu'était son corps étendu dans le tombeau au
cours de cette période, qui fut chronologiquement brève (environ un jour et
demi), mais qui fut immense, infinie dans sa valeur et sa signification.
Le Samedi Saint
est le jour où Dieu est caché, comme on le lit dans une ancienne Homélie:
"Que se passe-t-il? Aujourd'hui, un grand silence enveloppe la terre. Un
grand silence et un grand calme. Un grand silence parce que le Roi dort... Dieu
s'est endormi dans la chair, et il réveille ceux qui étaient dans les
enfers" (Homélie pour le Samedi Saint, PG 43, 439). Dans le Credo, nous
professons que Jésus Christ "a été crucifié sous Ponce Pilate, est mort et
a été enseveli, est descendu aux enfers. Le troisième jour est ressuscité des
morts".
Chers frères et
sœurs, à notre époque, en particulier après avoir traversé le siècle dernier,
l'humanité est devenue particulièrement sensible au mystère du Samedi Saint.
Dieu caché fait partie de la spiritualité de l'homme contemporain, de façon
existentielle, presque inconsciente, comme un vide dans le cœur (1) qui s'est élargi toujours plus. Vers
la fin du xix siècle, Nietzsche écrivait: "Dieu est mort! Et c'est
nous qui l'avons tué!". Cette célèbre expression est, si nous regardons
bien, prise presque à la lettre par la tradition chrétienne, nous la répétons
souvent dans la Via Crucis, peut-être sans nous rendre pleinement compte de ce
que nous disons. Après les deux guerres mondiales, les lagers et les goulags,
Hiroshima et Nagasaki, notre époque est devenue dans une mesure toujours plus
grande un Samedi Saint: l'obscurité de ce jour interpelle tous ceux qui
s'interrogent sur la vie, et de façon particulière nous interpelle, nous
croyants. Nous aussi nous avons affaire avec cette obscurité.
Et toutefois, la
mort du Fils de Dieu, de Jésus de Nazareth a un aspect opposé, totalement
positif, source de réconfort et d'espérance. Et cela me fait penser au fait que
le Saint-Suaire se présente comme un document "photographique", doté
d'un "positif" et d'un "négatif". Et en effet, c'est
précisément le cas: le mystère le plus obscur de la foi est dans le même
temps le signe le plus lumineux d'une espérance qui ne connaît pas de limite.
Le Samedi Saint est une "terre qui n'appartient à personne" entre la
mort et la résurrection, mais dans cette "terre qui n'appartient à
personne" est entré l'Un, l'Unique qui l'a traversée avec les signes de sa
Passion pour l'homme: "Passio Christi. Passio hominis". Et le
Saint-Suaire nous parle exactement de ce moment, il témoigne précisément de
l'intervalle unique et qu'on ne peut répéter dans l'histoire de l'humanité et
de l'univers, dans lequel Dieu, dans Jésus Christ, a partagé non seulement
notre mort, mais également le fait que nous demeurions dans la mort. La
solidarité la plus radicale.
Dans ce "temps-au-delà-du
temps", Jésus Christ "est descendu aux enfers". Que signifie
cette expression? Elle signifie que Dieu, s'étant fait homme, est arrivé au
point d'entrer dans la solitude extrême et absolue de l'homme, où n'arrive
aucun rayon d'amour, où règne l'abandon total sans aucune parole de
réconfort: "les enfers". Jésus Christ, demeurant dans la mort,
a franchi la porte de cette ultime solitude pour nous guider également à la
franchir avec Lui. Nous avons tous 2 parfois ressenti une terrible sensation
d'abandon, et ce qui nous fait le plus peur dans la mort, est précisément cela,
comme des enfants, nous avons peur de rester seuls dans l'obscurité, et seule
la présence d'une personne qui nous aime peut nous rassurer. Voilà, c'est
précisément ce qui est arrivé le jour du Samedi Saint: dans le royaume de
la mort a retenti la voix de Dieu. L'impensable a eu lieu: c'est-à-dire
que l'Amour a pénétré "dans les enfers": dans l'obscurité
extrême de la solitude humaine la plus absolue également, nous pouvons écouter
une voix qui nous appelle et trouver une main qui nous prend et nous conduit au
dehors. L'être humain vit pour le fait qu'il est aimé et qu'il peut aimer; et
si dans l'espace de la mort également, a pénétré l'amour, alors là aussi est
arrivée la vie. A l'heure de la solitude extrême, nous ne serons jamais
seuls: "Passio Christi. Passio hominis".
Tel est le
mystère du Samedi Saint! Précisément de là, de l'obscurité de la mort du Fils
de Dieu est apparue la lumière d'une espérance nouvelle: la lumière de la
Résurrection. Et bien, il me semble qu'en regardant ce saint linceul avec les
yeux de la foi, on perçoit quelque chose de cette lumière. En effet, le
Saint-Suaire a été immergé dans cette obscurité profonde, mais il est dans le
même temps lumineux; et je pense que si des milliers et des milliers de
personnes viennent le vénérer, sans compter celles qui le contemplent à travers
les images - c'est parce qu'en lui, elles ne voient pas seulement l'obscurité,
mais également la lumière; pas tant l'échec de la vie et de l'amour, mais
plutôt la victoire, la victoire de la vie sur la mort, de l'amour sur la haine;
elles voient bien la mort de Jésus, mais elles entrevoient sa Résurrection; au
sein de la mort bat à présent la vie, car l'amour y habite. Tel est le pouvoir
du Saint-Suaire: du visage de cet "Homme des douleurs", qui
porte sur lui la passion de l'homme de tout temps et de tout lieu, nos
passions, nos souffrances, nos difficultés, nos péchés également - "Passio
Christi. Passio hominis" - de ce visage émane une majesté solennelle, une
grandeur paradoxale. Ce visage, ces mains et ces pieds, ce côté, tout ce corps
parle, il est lui-même une parole que nous pouvons écouter dans le silence. Que
nous dit le Saint-Suaire? Il parle avec le sang, et le sang est la vie! Le
Saint-Suaire est une Icône écrite avec le sang; le sang d'un homme flagellé,
couronné d'épines, crucifié et transpercé au côté droit. L'image imprimée sur
le Saint-Suaire est celle d'un mort, mais le sang parle de sa vie. Chaque trace
de sang parle d'amour et de vie. En particulier cette tâche abondante à
proximité du flanc, faite de sang et d'eau ayant coulé avec abondance par une
large blessure procurée par un coup de lance romaine, ce sang et cette eau
parlent de vie. C'est comme une source qui murmure dans le silence, et nous,
nous pouvons l'entendre, nous pouvons l'écouter, dans le silence du Samedi
Saint.
Chers amis,
rendons toujours gloire au Seigneur pour son amour fidèle et miséricordieux. En
partant de ce lieu saint, portons dans les yeux l'image du Saint-Suaire,
portons dans le cœur cette parole d'amour, et louons Dieu avec une vie pleine
de foi, d'espérance et de charité. Merci.
(1)
Cette expression « un vide dans le cœur », me fait
penser à une citation que j’ai reçue aujourd’hui d’une amie :
"Il est
nécessaire que le monde nous laisse au coeur un grand vide.
Ce vide
c'est la place de Dieu"
Dom A. Guillerand (Chartreux)
Dans la même ligne, cette hymne du bréviaire, aussi appelé "office (ou prière) du temps présent " ou encore, " liturgie des heures ") :
HYMNE : À LA MESURE SANS MESURE
CFC — CNPL
À la mesure sans mesureDe ton immensité,
Tu nous manques, Seigneur.
Dans le tréfonds de notre cœur
Ta place reste marquée
Comme un grand vide, une blessure.
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