Jean-Paul Sartre et Noël
Un
des plus beaux textes que j’aie lus sur la Vierge
Marie et sur le mystère de Noël, a été écrit par un des plus illustres
athées des temps modernes: Jean-Paul Sartre, le père de l’existentialisme
athée. Quand j’ai lu ce texte pour la première fois il y a plus de vingt ans,
je me suis plu à croire que la Sainte Vierge obtiendrait la
conversion de Sartre uniquement à cause de ce texte magnifique qu’il a écrit
sur elle. Je crois maintenant que ce souhait s’est réalisé. Des signes assez
probants montrent que Sartre s’est probablement tourné vers Dieu avant de
mourir. (1)
Il est Dieu et Il me ressemble
« Mais comme c’est
aujourd’hui Noël, vous avez le droit d’exiger qu’on vous montre la
Crèche. La voici. Voici la Vierge, voici Joseph et voici l’Enfant
Jésus. L’artiste a mis tout son amour dans ce dessin, vous le trouverez
peut-être naïf, mais écoutez. Vous n’avez qu’à fermer les yeux pour m’entendre
et je vous dirai comment je les vois au-dedans de moi.
La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Ce qu’il faudrait peindre sur son visage, c’est un émerveillement anxieux, qui n’apparut qu’une seule fois sur une figure humaine, car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles. Elle l’a porté neuf mois. Elle lui donna le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. Elle le serre dans ses bras et elle dit: « Mon petit » !
Mais
à d’autres moments, elle demeure toute interdite et elle pense : « Dieu
est là », et elle se sent prise d’une crainte religieuse pour ce Dieu
muet, pour cet enfant, parce que toutes les mères sont ainsi arrêtées par
moment, par ce fragment de leur chair qu’est leur enfant, et elles se sentent
en exil devant cette vie neuve qu’on a faite avec leur vie et qu’habitent les
pensées étrangères. Mais aucun n’a été plus cruellement et plus rapidement
arraché à sa mère, car Il est Dieu et Il dépasse de tous côtés ce qu’elle peut
imaginer. Et c’est une rude épreuve pour une mère d’avoir crainte de soi et de
sa condition humaine devant son fils. Mais je pense qu’il y a aussi d’autres
moments rapides et glissants où elle sent à la fois que le Christ est son fils,
son petit à elle et qu’il est Dieu. Elle le regarde et elle pense: « Ce
Dieu est mon enfant ! Cette chair divine est ma chair, Il est fait de moi, Il a
mes yeux et cette forme de bouche, c’est la forme de la mienne. Il me
ressemble, Il est Dieu et Il me ressemble ».
Et aucune femme n’a eu de la sorte son Dieu pour elle seule. Un Dieu tout petit qu’on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu’on peut toucher et qui vit, et c’est dans ces moments là que je peindrais Marie si j’étais peintre, et j’essaierais de rendre l’air de hardiesse tendre et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce petite peau de cet enfant Dieu dont elle sent sur les genoux le poids tiède, et qui lui sourit. Et voilà pour Jésus et pour la Vierge Marie.
Et Joseph. Joseph? Je ne le peindrais pas. Je ne montrerais qu’une ombre au fond de la grange et aux yeux brillants, car je ne sais que dire de Joseph. Et Joseph ne sait que dire de lui-même. Il adore et il est heureux d’adorer. Il se sent un peu en exil. Je crois qu’il souffre sans se l’avouer. Il souffre parce qu’il voit combien la femme qu’il aime ressemble à Dieu. Combien déjà elle est du côté de Dieu. Car Dieu a éclaté comme une bombe dans l’intimité de cette famille. Joseph et Marie sont séparés pour toujours par cet incendie de clarté. Et toute la vie de Joseph, j’imagine, sera d’apprendre à accepter. Joseph ne sait que dire de lui-même: il adore et il est heureux d’adorer. »
Jean-Paul
Sartre
dieumajoie.blogspot.com/2014/10/la-conversion-de-jean-paul-sartre.html
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