Un texte de
mon frère Luc
Mon frère Luc
est prêtre diocésain à Québec. On vient de publier un de ses articles dans la
revue Pastorale Québec. Il me fait
grand plaisir de vous le partager.
Miséricordieux
comme le Père.
La
miséricorde: la corde qui sauve notre misère
Éveillé, je
rêve encore… Quelle chose mystérieuse que la Vie ! Personne ne sait quand elle nous
dépossèdera, ni ce qu’elle sera l’instant d’après l’instant. Et si tout – après
tout – n’était qu’une histoire d’Amour. Éternellement commencée, en instance
constante d’inachèvement. Et si tout était porté par l’Amour, lors même qu’il
nous semble que cet Amour nous échappe ou nous file entre les doigts. Et si
l’Amour nous mouvait, lors même que le sol sous nos pieds se dérobe. Et si
l’Amour était la clé qui déverrouille
toutes les portes sans serrure. Et si l’Amour – buisson ardent qui brûle encore
sur l’Horeb – voulait nous révéler, comme pour Moïse, qu’il peut encore ouvrir
un chemin dans la mer et faire jaillir l’eau du rocher. Et si l’Amour,
seul-à-lui-seul, était, aujourd’hui-pour-demain, l’à-venir du monde. Et si
l’Amour – sans que nous puissions trouver les mots justes pour le dire –
travaillait secrètement le monde comme le froment la pâte et était la
résolution ultime de l’univers et de notre vie.
Dieu est Amour clame sans cesse saint Jean.
Dieu n’est qu’Amour lui répond
aujourd’hui François Varillon. L’avoir
n’a rien à voir avec Dieu, ni avec l’amour. Ou alors, si Dieu a, Il n’a rien d’autre
que l’Amour qu’Il est. En Dieu, avoir ne peut se conjuguer sans être. En Lui,
toujours, l’être conditionne l’avoir. Être Tout-Amour est l’Origine de tout
l’avoir de Dieu. L’Amour qu’Il est, est tout ce que Dieu a. Dieu n’a que ce
qu’Il est. L’Amour ne possède rien. Dieu est dépossédé. Être-Amour est
l’avoir-de-Dieu. C’est précisément parce que Dieu n’a rien du tout qu’Il est
Tout-Amour. Amour-en-tout. L’Amour est le pouls de Dieu.
Or, toute
l’aventure biblique est la
Révélation progressive et de plus en plus décisive du Nom de Dieu. Nom, au-dessus de tout nom
(Ph 2, 9), révélant non seulement qui Il est, mais qu’Il est. Saint Luc, dans
la fulgurance d’un seul verset, sur les lèvres de Pierre, démontre bien que le
Nom de Jésus ne tire sa toute-puissance de salut que parce qu’Il est : « Car il n’y a pas sous le ciel d’autre nom
donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés (Ac 4, 12). » C’est
parce qu’Il EST essentiellement Amour que le Nom de Jésus A le pouvoir de
sauver le monde.
Si Dieu est
Amour en tout, Il est donc miséricorde.
En ces temps troublés, la miséricorde vient au secours de notre misère. La
misère (la seule en vérité) n’est-t-elle pas celle d’errer, sans savoir où on va,
ni d’où on vient ? De ne plus avoir de
demeure, de refuge, de référence ? Or, la miséricorde est l’Amour qui sauve
notre misère, nous tendant sans cesse la corde, pour que nous revenions à la
maison. Là où l’Amour nous attend depuis toujours. La miséricorde vient au
secours de notre errance. Dès les premières pages de la Bible , en Genèse, l’homme
- à ses dépens - fait l’expérience
concrète qu’être loin de Dieu, c’est errer et se perdre. En choisissant
volontairement de faire à sa guise, tentant de trouver son bonheur tout seul,
l’homme coupe sa communion avec son Créateur. Ainsi coupé de Dieu par sa faute,
l’homme saisit de l’intérieur qu’il n’a plus de repère, de lien, de relation.
Il erre. Le paradis originel devient un exil. Une errance. La tentation étant à
tout coup de décider d’être heureux sans Dieu. Seuls propriétaires de notre
vie.
« Il n’est pas bon que l’homme soit seul (Gn
2, 18) », dit Dieu. Et, pour le lui prouver, Dieu se fait homme, comme lui.
Dieu se fait partenaire de l’homme. En Jésus-Christ, Dieu se laisse voir pour
que l’homme puisse se voir en Lui. Dès lors, plus jamais l’homme ne sera seul.
Dieu communie à sa nature. Dieu fait Alliance avec l’homme. Dieu se lie à lui.
En Jésus, les traits de Dieu se lisent sur l’homme et les traits de l’homme se
lisent sur Dieu. Les deux sont irrémédiablement liés. Soudés. Conjugués.
Entrelacés. Embrassés. « Ils ne sont plus
deux, mais ils ne font qu’une seule chair (Mt 19, 6). » En Jésus, le Cœur
de Dieu bat dans la chair de l’homme.
« Jésus-Christ est le visage de la
miséricorde du Père. Le mystère de la foi chrétienne est là tout entier… l’acte
ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre. » Tels sont les
premiers mots du pape François, dans Misericordiae Vultus, Bulle
d’indiction du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde (1).
Le Pape parle de la miséricorde comme étant le noyau, le mot-clé (n. 9),
le pilier (n. 10), le cœur battant (n. 12), le centre (n. 25) de l’Évangile et de la Révélation. Jésus-Christ :
Miséricorde du Père qui se laisse voir, recevoir, émouvoir. Corde vivante qui
sauve notre misère, se penche, s’incline, se décline et nous tend la main (2).
Jésus-Christ:
miséricorde du Père rendue visible à nos yeux, projetant ainsi notre misère
dans l’éternel présent de son Amour. En Jésus, l’Amour éternel du Père touche
terre et prend visage de miséricorde. Ici et maintenant. Jésus-Christ:
Miséricorde incarnée du Père! Don de Dieu dans l’aujourd’hui des hommes!
« Rien, jamais ne pourra nous séparer de
l’Amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur (Rm 8, 39). »
Tel est le
cri lancé au monde entier par le pape François, en ce Jubilé extraordinaire de la Miséricorde : «rien n’est jamais perdu pour Dieu.» En
Lui, tout peut recommencer et repartir. En Dieu, tout est grâce. Occasion de rebondir et de reprendre sereinement la
route. Telle est la
Bonne Nouvelle ! Telle est la Joie de l’Évangile!
Toutes les
portes-saintes à travers le monde sont maintenant ouvertes. Aussitôt la nôtre fermée (la porte sainte de Québec, fermée le 28
décembre 2014), voilà que le Jubilé extraordinaire de la Miséricorde l’ouvre à
nouveau (3). Quelle grâce insigne nous est faite ! Rien ne peut fermer ce que
l’Amour a ouvert! Franchir la
Porte-Sainte : laisser Jésus – au nom du Père – nous tendre la
main de sa miséricorde, pour que, main dans sa Main, nous entrions dans
l’immensité de son amour.
Entrer en
Dieu, c’est cesser d’errer pour être.
Thérèse
d’Avila, la Madre Fundadora , écrit
dans son autobiographie : « Je l’ai
su très souvent par expérience: le Seigneur me l’a dit. J’ai vu clairement que
nous devions entrer par cette porte, si nous voulons que la Majesté souveraine nous
révèle de grands secrets. » La miséricorde est le grand secret de l’Amour
de Dieu pour nous. Or, un secret se dit tout bas, à l’oreille du cœur. Un
secret rejoint notre intimité la plus sacrée. La miséricorde est le secret que
le Cœur de Dieu murmure à notre cœur. L’Ami souffle son Amour à son ami. Et ce
secret du Père est d’autant plus incommensurable qu’il est immérité. « Seigneur, je ne suis pas digne de te
recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. »
« Heureux les miséricordieux, car ils
obtiendront miséricorde (Mt 5, 7). » La cinquième béatitude est la seule
dont l’invitation et le fruit sont signifiés par le même mot: miséricorde. Miséricorde sera faite par
Dieu à celui qui aura fait miséricorde à son frère. La miséricorde de Dieu
répond à la miséricorde de l’homme. Miséricorde: le mot qui fait que ciel et
terre se rejoignent.
« Soyez miséricordieux comme votre Père est
miséricordieux (Lc 6, 36). » La mesure de notre miséricorde n’a de mesure
que la mesure même de Dieu. Or, la mesure de la miséricorde du Père est
précisément d’aimer sans mesure. Incommensurablement. Par conséquent, notre
miséricorde est sans cesse perfectible. Progressiste. En marche. Proactive.
Sans cesse inachevée. Ce que Dieu est par essence, nous sommes invités à le
devenir par imitation. Notre miséricorde n’aura jamais fini d’imiter
l’incommensurable miséricorde du Père. La finitude de notre miséricorde est
appelée a imiter l’infinitude de la miséricorde du Père.
Cette Année
Sainte est pour toute l’Église une invitation à élargir en nous l’espace de
notre cœur, pour communier plus intimement au Cœur du Père! Imiter la miséricorde
du Père, c’est opérer en nous le passage du jamais
au toujours. Ce que l’homme seul ne
pourra jamais faire, Jésus, Fils du
Père, pourra toujours le faire en
nous. La miséricorde rend possible l’impossible.
Tel est le leitmotiv de tout l’évangile de Luc, annoncé
dès les premiers versets: « car rien
n’est impossible à Dieu (Lc 1, 37). » Marie, la Toute-Pure , préfigure sur-éminemment ce que le Père, dans sa
miséricorde, veut faire en chacun et chacune d’entre nous: configurer son
Visage, jusqu’en notre chair même. Tel
Père, telle fille !
En
choisissant la miséricorde du Père comme modèle de notre miséricorde, le pape
François invite toute l’Église à réfléchir, prier, contempler et approfondir sa
communion et sa relation filiale avec le Père. Tel Père, tels fils! Telles filles!
On comprendra
dès lors le lien étroit et intrinsèque qui lie entre elles la miséricorde et
l’Eucharistie. Pour être miséricordieux
comme le Père est miséricordieux, il faut que la vie du Fils unique, Bien-Aimé
du Père, circule en nous. Manger son Corps, boire son Sang distille notre
cœur et l’élargit aux dimensions infinies du Cœur de Dieu. « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui (Jn
6, 56). »
Rejoindre les périphéries est une
expression chère au pape François. Combien de périphéries, de lieux secrets,
d’endroits intimes en nous ont encore besoin d’être évangélisés, visités,
purifiés, transfigurés par la
Présence et par la
Parole ! Plus le Nom de Dieu qui n’est qu’Amour s’imprimera et
s’identifiera au nôtre au point de s’y configurer, plus nous serons en mesure
d’imiter la démesure de sa miséricorde. Oui,
il est juste et bon de voir le pape François se faire en première ligne le
témoin concret de la miséricorde du Père qu’il nous invite à imiter.
Frères et
sœurs, entamant le dernier versant de ma vie, devant le travail accompli, mais
surtout, devant l’évidence de l’inachèvement en moi du message du pape, je
demande instamment à l’Esprit du Père de faire résonner en moi ses paroles,
comme jadis au Jourdain: « Tu es mon Fils
bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour (Mt 1, 11). » Alors, investi de
sa toute-puissance d’amour, je pourrai – chaque jour un peu mieux – être miséricordieux comme Lui.
En cette
Année Sainte extraordinaire, je souhaite à notre Église diocésaine de Québec de
se laisser regarder par le Christ-Jésus, Visage
de la miséricorde du Père. Puisse ce
Visage, sans cesse penché sur nous, donner à chacun et chacune le désir de ne
jamais plus le quitter. Ni des yeux, ni du cœur.
Sainte Année
Sainte !
Luc
Simard
(1) Pape
François. Le visage de la Miséricorde
(ns 1 - 2))
(2) La
métaphore du filet, si souvent employée par Jésus lui-même, reprend, par ses mailles entrelacées, cette
image de la corde qui nous ramène à la barque de Pierre. Là où Jésus-Miséricordieux
nous attend pour nous ramener à Lui.
(3) « Ce même dimanche (troisième de l’Avent), je désire que dans chaque église
particulière, dans la cathédrale qui est l’église-mère pour tous les fidèles,
ou bien dans la co-cathédrale ou dans une église d’importance particulière, une
Porte de la Miséricorde
soit également ouverte pendant toute l’Année Sainte (n. 3). »
Et si on chantait et réalisait que l'Amour est tout, comme Raymond Lévesque le chantait si bien .. dans cette merveilleuse chanson traduite en je ne sais plus combien de langues à travers le monde !
RépondreSupprimer"Quand les hommes vivront d'amour
Ce sera la paix sur la terre
Les soldats seront troubadours
Mais nous nous serons morts mon frère"..
Ce texte de votre frère Luc est magnifique. Je l'ai ressenti tout en poésie..
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