mercredi 20 janvier 2016

Un texte de mon frère Luc

 Un texte de mon frère Luc
 
Mon frère Luc est prêtre diocésain à Québec. On vient de publier un de ses articles dans la revue Pastorale Québec. Il me fait grand plaisir de vous le partager.

Miséricordieux comme le Père.

La miséricorde: la corde qui sauve notre misère

Éveillé, je rêve encore… Quelle chose mystérieuse que la Vie ! Personne ne sait quand elle nous dépossèdera, ni ce qu’elle sera l’instant d’après l’instant. Et si tout – après tout – n’était qu’une histoire d’Amour. Éternellement commencée, en instance constante d’inachèvement. Et si tout était porté par l’Amour, lors même qu’il nous semble que cet Amour nous échappe ou nous file entre les doigts. Et si l’Amour nous mouvait, lors même que le sol sous nos pieds se dérobe. Et si l’Amour était la clé qui  déverrouille toutes les portes sans serrure. Et si l’Amour – buisson ardent qui brûle encore sur l’Horeb – voulait nous révéler, comme pour Moïse, qu’il peut encore ouvrir un chemin dans la mer et faire jaillir l’eau du rocher. Et si l’Amour, seul-à-lui-seul, était, aujourd’hui-pour-demain, l’à-venir du monde. Et si l’Amour – sans que nous puissions trouver les mots justes pour le dire – travaillait secrètement le monde comme le froment la pâte et était la résolution ultime de l’univers et de notre vie.

Dieu est Amour clame sans cesse saint Jean. Dieu n’est qu’Amour lui répond aujourd’hui François Varillon.  L’avoir n’a rien à voir avec Dieu, ni avec l’amour. Ou alors, si Dieu a, Il n’a rien d’autre que l’Amour qu’Il est. En Dieu, avoir ne peut se conjuguer sans être. En Lui, toujours, l’être conditionne l’avoir. Être Tout-Amour est l’Origine de tout l’avoir de Dieu. L’Amour qu’Il est, est tout ce que Dieu a. Dieu n’a que ce qu’Il est. L’Amour ne possède rien. Dieu est dépossédé. Être-Amour est l’avoir-de-Dieu. C’est précisément parce que Dieu n’a rien du tout qu’Il est Tout-Amour. Amour-en-tout. L’Amour est le pouls de Dieu.

Or, toute l’aventure biblique est la Révélation progressive et de plus en plus décisive du  Nom de Dieu. Nom, au-dessus de tout nom (Ph 2, 9), révélant non seulement qui Il est, mais qu’Il est. Saint Luc, dans la fulgurance d’un seul verset, sur les lèvres de Pierre, démontre bien que le Nom de Jésus ne tire sa toute-puissance de salut que parce qu’Il est : « Car il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés (Ac 4, 12). » C’est parce qu’Il EST essentiellement Amour que le Nom de Jésus A le pouvoir de sauver le monde.

Si Dieu est Amour en tout,  Il est donc miséricorde. En ces temps troublés, la miséricorde vient au secours de notre misère. La misère (la seule en vérité) n’est-t-elle pas celle d’errer, sans savoir où on va, ni  d’où on vient ? De ne plus avoir de demeure, de refuge, de référence ? Or, la miséricorde est l’Amour qui sauve notre misère, nous tendant sans cesse la corde, pour que nous revenions à la maison. Là où l’Amour nous attend depuis toujours. La miséricorde vient au secours de notre errance. Dès les premières pages de la Bible, en Genèse, l’homme -  à ses dépens - fait l’expérience concrète qu’être loin de Dieu, c’est errer et se perdre. En choisissant volontairement de faire à sa guise, tentant de trouver son bonheur tout seul, l’homme coupe sa communion avec son Créateur. Ainsi coupé de Dieu par sa faute, l’homme saisit de l’intérieur qu’il n’a plus de repère, de lien, de relation. Il erre. Le paradis originel devient un exil. Une errance. La tentation étant à tout coup de décider d’être heureux sans Dieu. Seuls propriétaires de notre vie.

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul (Gn 2, 18) », dit Dieu. Et, pour le lui prouver, Dieu se fait homme, comme lui. Dieu se fait partenaire de l’homme. En Jésus-Christ, Dieu se laisse voir pour que l’homme puisse se voir en Lui. Dès lors, plus jamais l’homme ne sera seul. Dieu communie à sa nature. Dieu fait Alliance avec l’homme. Dieu se lie à lui. En Jésus, les traits de Dieu se lisent sur l’homme et les traits de l’homme se lisent sur Dieu. Les deux sont irrémédiablement liés. Soudés. Conjugués. Entrelacés. Embrassés. « Ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu’une seule chair (Mt 19, 6). » En Jésus, le Cœur de Dieu bat dans la chair de l’homme.

« Jésus-Christ est le visage de la miséricorde du Père. Le mystère de la foi chrétienne est là tout entier… l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre. » Tels sont les premiers mots du pape François, dans Misericordiae Vultus, Bulle d’indiction du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde (1). Le Pape parle de la miséricorde comme étant le noyau, le mot-clé (n. 9), le pilier (n. 10), le cœur battant (n. 12), le centre (n. 25) de l’Évangile et de la Révélation. Jésus-Christ: Miséricorde du Père qui se laisse voir, recevoir, émouvoir. Corde vivante qui sauve notre misère, se penche, s’incline, se décline et nous tend la main (2).

Jésus-Christ: miséricorde du Père rendue visible à nos yeux, projetant ainsi notre misère dans l’éternel présent de son Amour. En Jésus, l’Amour éternel du Père touche terre et prend visage de miséricorde. Ici et maintenant. Jésus-Christ: Miséricorde incarnée du Père! Don de Dieu dans l’aujourd’hui des hommes!

« Rien, jamais ne pourra nous séparer de l’Amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur (Rm 8, 39). »

Tel est le cri lancé au monde entier par le pape François, en ce Jubilé extraordinaire de la Miséricorde: «rien n’est jamais perdu pour Dieu.» En Lui, tout peut recommencer et repartir. En Dieu, tout est grâce. Occasion de rebondir et de reprendre sereinement la route. Telle est la Bonne Nouvelle ! Telle est la Joie de l’Évangile! 

Toutes les portes-saintes à travers le monde sont maintenant ouvertes.  Aussitôt la nôtre fermée (la porte sainte de Québec, fermée le 28 décembre 2014), voilà que le Jubilé extraordinaire de la Miséricorde l’ouvre à nouveau (3). Quelle grâce insigne nous est faite ! Rien ne peut fermer ce que l’Amour a ouvert! Franchir la Porte-Sainte: laisser Jésus – au nom du Père – nous tendre la main de sa miséricorde, pour que, main dans sa Main, nous entrions dans l’immensité de son amour. 

Entrer en Dieu, c’est cesser d’errer pour être.

Thérèse d’Avila, la Madre Fundadora, écrit dans son autobiographie : « Je l’ai su très souvent par expérience: le Seigneur me l’a dit. J’ai vu clairement que nous devions entrer par cette porte, si nous voulons que la Majesté souveraine nous révèle de grands secrets. » La miséricorde est le grand secret de l’Amour de Dieu pour nous. Or, un secret se dit tout bas, à l’oreille du cœur. Un secret rejoint notre intimité la plus sacrée. La miséricorde est le secret que le Cœur de Dieu murmure à notre cœur. L’Ami souffle son Amour à son ami. Et ce secret du Père est d’autant plus incommensurable qu’il est immérité. « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. »

« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde (Mt 5, 7). » La cinquième béatitude est la seule dont l’invitation et le fruit sont signifiés par le même mot: miséricorde. Miséricorde sera faite par Dieu à celui qui aura fait miséricorde à son frère. La miséricorde de Dieu répond à la miséricorde de l’homme. Miséricorde: le mot qui fait que ciel et terre se rejoignent.

« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux (Lc 6, 36). » La mesure de notre miséricorde n’a de mesure que la mesure même de Dieu. Or, la mesure de la miséricorde du Père est précisément d’aimer sans mesure. Incommensurablement. Par conséquent, notre miséricorde est sans cesse perfectible. Progressiste. En marche. Proactive. Sans cesse inachevée. Ce que Dieu est par essence, nous sommes invités à le devenir par imitation. Notre miséricorde n’aura jamais fini d’imiter l’incommensurable miséricorde du Père. La finitude de notre miséricorde est appelée a imiter l’infinitude de la miséricorde du Père.

Cette Année Sainte est pour toute l’Église une invitation à élargir en nous l’espace de notre cœur, pour communier plus intimement au Cœur du Père! Imiter la miséricorde du Père, c’est opérer en nous le passage du jamais au toujours. Ce que l’homme seul ne pourra jamais faire, Jésus, Fils du Père, pourra toujours le faire en nous. La miséricorde rend possible l’impossible.

Tel est le leitmotiv de tout l’évangile de Luc, annoncé dès les premiers versets: « car rien n’est impossible à Dieu (Lc 1, 37). » Marie, la Toute-Pure, préfigure sur-éminemment ce que le Père, dans sa miséricorde, veut faire en chacun et chacune d’entre nous: configurer son Visage, jusqu’en notre chair même. Tel Père, telle fille !

En choisissant la miséricorde du Père comme modèle de notre miséricorde, le pape François invite toute l’Église à réfléchir, prier, contempler et approfondir sa communion et sa relation filiale avec le Père. Tel Père, tels fils! Telles filles!

On comprendra dès lors le lien étroit et intrinsèque qui lie entre elles la miséricorde et l’Eucharistie. Pour être miséricordieux comme le Père est miséricordieux, il faut que la vie du Fils unique,  Bien-Aimé du Père, circule en nous. Manger son Corps, boire son Sang distille notre cœur et l’élargit aux dimensions infinies du Cœur de Dieu. « Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui (Jn 6, 56). »

Rejoindre les périphéries est une expression chère au pape François. Combien de périphéries, de lieux secrets, d’endroits intimes en nous ont encore besoin d’être évangélisés, visités, purifiés, transfigurés par la Présence et par la Parole! Plus le Nom de Dieu qui n’est qu’Amour s’imprimera et s’identifiera au nôtre au point de s’y configurer, plus nous serons en mesure d’imiter la démesure de sa miséricorde. Oui, il est juste et bon de voir le pape François se faire en première ligne le témoin concret de la miséricorde du Père qu’il nous invite à imiter.

Frères et sœurs, entamant le dernier versant de ma vie, devant le travail accompli, mais surtout, devant l’évidence de l’inachèvement en moi du message du pape, je demande instamment à l’Esprit du Père de faire résonner en moi ses paroles, comme jadis au Jourdain: « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour (Mt 1, 11). » Alors, investi de sa toute-puissance d’amour, je pourrai – chaque jour un peu mieux – être miséricordieux comme Lui.

En cette Année Sainte extraordinaire, je souhaite à notre Église diocésaine de Québec de se laisser regarder par le Christ-Jésus, Visage de la miséricorde du Père.  Puisse ce Visage, sans cesse penché sur nous, donner à chacun et chacune le désir de ne jamais plus le quitter. Ni des yeux, ni du cœur.

Sainte Année Sainte !

Luc Simard


(1) Pape François. Le visage de la Miséricorde (ns 1 - 2))

(2) La métaphore du filet, si souvent employée par Jésus lui-même,  reprend, par ses mailles entrelacées, cette image de la corde qui nous ramène à la barque de Pierre. Là où Jésus-Miséricordieux nous attend pour nous ramener à Lui.

(3) « Ce même dimanche (troisième de l’Avent), je désire que dans chaque église particulière, dans la cathédrale qui est l’église-mère pour tous les fidèles, ou bien dans la co-cathédrale ou dans une église d’importance particulière, une Porte de la Miséricorde soit également ouverte pendant toute l’Année Sainte (n. 3). »





  

2 commentaires:

  1. Et si on chantait et réalisait que l'Amour est tout, comme Raymond Lévesque le chantait si bien .. dans cette merveilleuse chanson traduite en je ne sais plus combien de langues à travers le monde !

    "Quand les hommes vivront d'amour
    Ce sera la paix sur la terre
    Les soldats seront troubadours
    Mais nous nous serons morts mon frère"..

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    1. Ce texte de votre frère Luc est magnifique. Je l'ai ressenti tout en poésie..

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