vendredi 9 juillet 2021

Bernanos et les pleurs

 Bernanos et les pleurs

Dans le roman Journal d'un curé de campagne, Georges Bernanos dit quelque chose de très intéressant concernant les pleurs. 

Voici un extrait du dialogue entre Séraphita, une jeune fille qui souffre beaucoup et qui est assez délinquante, et le jeune curé d'Ambricourt, qui est le personnage principal du roman :  

La jeune fille : Après avoir parlé à Mlle Chantal, je suis restée là-bas des heures. En rentrant, papa m'a claquée (giflée). J'ai même pleuré, c'est plutôt rare...

Le jeune abbé : Tu ne pleures donc jamais ?

La jeune fille : Non, je trouve ça dégoûtant, sale. Quand on pleure, la tristesse sort de vous, le coeur fond  comme du beurre, pouah ! Ou alors... (elle a cligné de nouveau les paupières) il faudrait trouver une autre... une autre... une autre façon de pleurer, quoi ! Vous trouvez ça bête?

Le jeune abbé : "Non", lui dis-je. J'hésitais à lui répondre, il me semblait que la moindre imprudence allait éloigner de moi, à jamais, cette petite bête farouche. - "Un jour, tu comprendras que la prière est justement cette manière de pleurer, les seules larmes qui ne soient pas lâches."


Je trouve très belles ces phrases de Bernanos. Lorsqu'on connaît le personnage de Séraphita, on ne s'étonne pas qu'elle associe pleurs et lâcheté. Mais nous savons bien qu'il n'y aucune lâcheté à pleurer. Jésus a pleuré au moins trois fois selon la Bible. La première fois eut lieu quand son bon ami Lazare est décédé. La deuxième fois semble avoir eu lieu au Mont des Oliviers. quelques jours avant la Passion, lors de l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem : 

"À mesure que Jésus avançait, les gens étendaient leurs manteaux sur le chemin. Alors que déjà Jésus approchait de la descente du mont des Oliviers, toute la foule des disciples, remplie de joie, se mit à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu’ils avaient vus, et ils disaient : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ! » Quelques pharisiens, qui se trouvaient dans la foule, dirent à Jésus : « Maître, réprimande tes disciples ! » Mais il prit la parole en disant : « Je vous le dis : si eux se taisent, les pierres crieront. ». Lorsque Jésus fut près de Jérusalem, voyant la ville, il pleura sur elle, en disant :« Ah ! si toi aussi, tu avais reconnu en ce jour ce qui donne la paix ! Mais maintenant cela est resté caché à tes yeux. Oui, viendront pour toi des jours où tes ennemis construiront des ouvrages de siège contre toi, t’encercleront et te presseront de tous côtés ; ils t’anéantiront, toi et tes enfants qui sont chez toi, et ils ne laisseront pas chez toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le moment où Dieu te visitait." (Évangile selon saint Luc, chapitre 19, versets 36 à48)

On pense que Jésus pleura sur Jérusalem alors qu'il descendait le Mont des Oliviers et qu'il s'arrêta pour contempler la cité sainte. Jésus allait souvent prier au Mont des Oliviers d'où on a une vue imprenable sur Jérusalem. Lors de mon pèlerinage en Terre Sainte en 1999, cet endroit m'a particulièrement touché. On appelle cet endroit : "Dominus flevit" ("Le Seigneur pleura"). 

L'église du Dominus flevit (Le Seigneur pleura)
Remarquez le demi-cercle bleu ci-dessus, vu du bas du Mont des Oliviers 
et le même demi-cercle bleu, ci-dessous, vu de l'intérieur de l'église


Le troisième moment où Jésus a pleuré, selon les Saintes Écritures, a eu lieu aussi au Mont des Oliviers, dans le jardin du même nom, alors que Jésus commençait sa douloureuse Passion. La Lettre aux Hébreux nous apprend que durant son agonie, Jésus pleura :  

"Pendant les jours de sa vie dans la chair, il offrit, avec un grand cri et dans les larmes, des prières et des supplications à Dieu qui pouvait le sauver de la mort, et il fut exaucé en raison de son grand respect." (Lettre aux Hébreux, chapitre 5, verset 7). 

Autant il n'est pas exact de dire que pleurer est un geste de lâcheté, comme l'insinue Séraphita, autant il est vrai de dire avec le jeune curé que les pleurs vécues dans la prière, ou en priant, est cette "meilleure façon de pleurer" qu'ignorait cette chère Séraphita, mais qu'elle souhaitait inconsciemment connaître : "il faudrait trouver une autre... une autre... une autre façon de pleurer, quoi !"
  
Les pleurs vécues devant Dieu et avec Dieu, sont souvent les seules qui soient vraiment consolantes. Quand Jésus énonce la béatitude suivante: "Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés" (Évangile selon saint Matthieu, chapitre 5, verset 4), il est impossible que notre Sauveur pense à une consolation d'origine humaine car nous savons très bien que certaines personnes ne bénéficieront jamais d'une consolation humaine. Pour que cette merveilleuse béatitude revête un caractère universel, il fallait qu'elle ait Dieu pour auteur et pour consolateur. 

Mystérieusement, le premier psaume du premier office du bréviaire que j'ai prié après avoir écrit ce blogue est le suivant: 
 

9 JUILLET 2021

 vendredi, 14ème Semaine du Temps Ordinaire — Année Impaire


OFFICE DES VÊPRES

ANTIENNE

J’éprouvais la tristesse et l’angoisse : le Seigneur m’a sauvé, alléluia !

PSAUME : 114

1 J'aime le Seigneur :
il entend le cri de ma prière ;
2 il incline vers moi son oreille :
toute ma vie, je l'invoquerai.

3 J'étais pris dans les filets de la mort,
   retenu dans les liens de l'abîme, *
j'éprouvais la tristesse et l'angoisse ;
4 j'ai invoqué le nom du Seigneur :
« Seigneur, je t'en prie, délivre-moi ! »

5 Le Seigneur est justice et pitié,
notre Dieu est tendresse.
6 Le Seigneur défend les petits :
j'étais faible, il m'a sauvé.

7 Retrouve ton repos, mon âme,
car le Seigneur t'a fait du bien.
8 Il a sauvé mon âme de la mort, *
gardé mes yeux des larmes
et mes pieds du faux pas.

9 Je marcherai en présence du Seigneur
sur la terre des vivants.


(1) Georges Bernanos, Journal d'un curé de campagne, Plon, 1974, p. 273. 


1 commentaire:

  1. Un autre très beau psaume que le 114! Pleurer avec et devant le Seigneur ne peut qu'apporter une consolation qui sort de l'ordinaire...

    RépondreSupprimer