dimanche 15 novembre 2015

Péguy et la "petite espérance"

Péguy et la « petite espérance »
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                               Charles Péguy 1873-1914                           La petite espérance

« L’espérance est la plus petite des vertus, mais elle est la plus forte »
(Pape François, aujourd’hui même à l’Angelus, 15 novembre 2015)

Nous approchons de la fin de l’année liturgique. Les textes de la Parole de Dieu du dimanche que nous célébrons aujourd’hui, ont tous comme toile de fond: l’espérance. Le langage « apocalyptique » employé dans le livre de Daniel et dans l’évangile d’aujourd’hui, a été utilisé non pas pour faire peur, mais pour creuser en nous l’espérance alors que tout semble s’écrouler autour de nous.

Charles Péguy est peut-être l’auteur qui a le mieux parlé de l’espérance. Cet homme a parlé en connaissance de cause. Il a vécu en France à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. Il a été influencé par le courant athée qui circulait déjà en France à cette époque là. Assez tôt durant sa vie, il a abandonné la religion. À l’âge de vingt-sep ans, il écrivait ceci:

« Tous mes compagnons se sont débarrassés, comme moi, du catholicisme. Les treize et quatorze siècles de christianisme donnés à mes ancêtres, et les onze ou douze années d’instruction religieuse accueillies sincèrement, ont passé sur moi sans laisser de traces. »

Et pourtant, Dieu l’attendait dans le détour. En semtembre 1908, Péguy est gravement malade. Son ami Lotte va le visiter et rend ce témoignage:

« Je l’ai trouvé prostré, épuisé, malade. Le médecin diagnostique une maladie du foie. À une certain moment, il se releva en s’appuyant sur son coude, les yeux pleins de larmes et dit : « Je ne t’ai pas tout dit… j’ai retrouvé la foi…je suis catholique! »

Voici un extrait de l’homélie qu’a prononcée Mgr A. Comastri, Archevêque-Délégué pontifical de Lorette, le 25 août 2003:

Un homme renouvelé par la rencontre avec Jésus

Sa femme et la famille de sa femme n'acceptèrent pas sa conversion et la considérèrent comme un moment d'exaltation.

 Sa femme refusa le mariage religieux, que Charles lui demanda, et s'opposa de façon résolue au baptême des trois enfants nés de leur union. C'est ainsi que Péguy souffrit d'une déchirure dramatique entre la vie nouvelle qui naissait en lui et le passé, qu'il ne pouvait abandonner. Quoi qu'il en soit, il ne voulait pas exercer de pression sur sa femme et, se trouvant dans une situation matrimoniale qui n'était pas bénie par l’Église, il accepta la douleur immense de ne pas pouvoir s'approcher de la Sainte Eucharistie, ce qu'il désirait dès lors de toute son âme.

Cette épreuve de conscience, qui du­ra jusqu'à sa mort, fut le sacrifice eucharistique personnel de Charles Péguy. Cependant, il priait sans cesse pour la conversion de sa femme et de sa famille : et sa femme demanda le baptême avec ses trois enfants en 1925, onze ans après la mort de Charles !

Après sa conversion Péguy prit cons­cience de la situation pénible de déchristianisation de la société moderne : une situation qu'il connaissait bien, en personne ! Il définit ainsi la modernité: « C'est la renonciation de toute la société à tout le christianisme ! » Le nouveau siècle (le vingtième), lui apparut pire que tous les siècles passés, qui étaient certainement des siècles de pécheurs, mais qui conservaient toujours une référence idéale au Christ : notre siècle, le siècle de la modernité, lui apparut en revanche un « siècle sans Christ », un « siècle a-chrétien », un « siècle sans christianisme ». Et il en éprouva de la douleur et de l'horreur ! Il se demanda : pourquoi ? Il trouva cette réponse très fi­ne : nous avons oublié (il parlait des chrétiens) que le christianisme doit re­naître sans cesse, doit recommencer avec chaque génération ; il doit donc connaître un nouveau début chez les hommes d'aujourd'hui ; le christianisme ne peut pas s'allumer en transmettant seulement des informations doctrinales, mais en recréant la situation des débuts, c'est-à-dire en faisant se rencon­trer les personnes déchristianisées et les personnes transformées par la ren­contre vivante avec le Christ : comme cela eut lieu pour les Apôtres !

L'humble pèlerin à Notre-Dame de Chartres

En 1912, Charles se rend en pèlerinage à pied à la cathédrale de Chartres: il va humblement demander la guérison de son fils Pierre-Marcel frappé par une grave fièvre typhoïde. Son fils guérit et sa femme aussi commence à se défaire de sa dure hostilité à l'égard de la reli­gion catholique. Au cours de la maladie de son enfant, elle en vient à dire à Charles : « Si les conditions de Pierre empirent, nous appelleront un prêtre pour le faire baptiser ».

Péguy renouvellera ce pèlerinage en 1913, du 25 au 28 juillet. C'est ainsi qu'il raconte à son ami Lotte : « J'ai risqué mourir : il faisait si chaud ! Il serait bon de mourir le long d'une route et d'aller ainsi au Ciel ! ». Il revient à Chartres, aux pieds de la Madone, en 1914, accompagné par Geneviève et par Jeanne, respectivement la mère et la sœur de Jacques Maritain. Il confie encore à son ami Lotte : « Aux pieds de la Vierge, j'ai laissé mon cœur et je crois vraiment que je me ferai en­terrer là, car c'est là que j'ai reçu des grâces extraordinaires ».

La Première Guerre mondiale éclate : Charles Péguy est appelé au front et il est tué le 5 septembre 1914, alors qu'il est à la tête de son escadron près de Villeroy, le premier jour de l'offensive sur la Marne.
La nuit avant de mourir, alors qu'il est de garde avec d'autres soldats dans les environs d'un couvent d'Ermites, Péguy passe la nuit à disposer des fleurs aux pieds d'une statue de la Vierge, ca­chée jadis dans un grenier pour échap­per aux destructions des jacobins, ensuite transformé en Chapelle : le dia­logue de Péguy avec la Madone conti­nue jusqu'au dernier instant.

Dans la Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres, c'est ainsi que prie Charles Péguy :

Nous ne demandons rien, refuge du pécheur,
Si ce n 'est la dernière place au purgatoire
Pour pleurer longtemps sur notre pauvre histoire
Et contempler de loin votre jeune splendeur.

Et peut-être, en mourant, aura-t-il murmuré un dernier Ave Maria, une prière qui lui était si chère et dont il avait dit de façon merveilleuse : « Dans toute la liturgie, il y a une seule prière que le misérable pécheur peut réciter en pleine vérité : c’est l’Ave Maria ! Celle-ci, en effet, nous faire dire : Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Amen. »

L’Osservatore Romano – N. 39 – 30 septembre 2003  (1)

C'est à cause de la dévotion mariale de Péguy envers la Vierge Marie et des grâces que ce cher écrivain a reçues en la cathédrale Notre-Dame de Chartres, que l'on a mis ce lieu béni sur le timbre imprimé en l'honneur de Péguy.


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         Cathédrale Notre-Dame de Chartres

Voici maintenant quelques mots sur la « petite espérance » dont a si bien parlé Péguy dans son œuvre intitulée: Le porche du mystère de la deuxième vertu. Le titre de cette œuvre m’a toujours paru bizarre et très compliqué. Ce n’est qu’aujourd’hui que je trouve ce titre magnifique. C’est un peu comme si le poète Charles Péguy s’avançait sur la pointe des pieds pour parler de l’espérance. Cet auteur a une telle révérence et une telle admiration pour la vertu de l’espérance, qu’il est conscient que ce qu’il va dire, ne sera toujours qu’une introduction (le « porche ») dans le « mystère » que revêt l’espérance.

Pour comprendre ce titre, il faut savoir que pendant des siècles, lorsqu’on parlait des trois vertus « théologales », on les mentionnait toujours dans l’ordre suivant: la FOI, l’ESPÉRANCE et la CHARITÉ. L’espérance était toujours au milieu des deux grandes vertus que sont la FOI et la CHARITÉ. C’est ce qui fait dire à Péguy que l’espérance était toujours entre ses deux grandes sœurs, la FOI et la CHARITÉ. Mais laissons parler Péguy:

La petite Espérance s'avance entre ses deux grandes sœurs
et on ne prend pas seulement garde à elle.
Sur le chemin du salut, sur le chemin charnel, sur le chemin
raboteux du salut, sur la route interminable, sur la route
entre ses deux sœurs la petite espérance
S'avance.
Entre ses deux grandes sœurs.
Le peuple chrétien ne voit que les deux grandes sœurs, n'a
de regard que pour les deux grandes sœurs.
Celle qui est à droite et celle qui est à gauche.
Et il ne voit quasiment pas celle qui est au milieu.
La petite, celle qui va encore à l'école.
Et qui marche.
Perdue dans les jupes de ses sœurs.
Et il croit volontiers que ce sont les deux grands
qui traînent la petite par la main.
Au milieu.
Entre les deux.
pour lui faire faire ce chemin raboteux du salut.
Les aveugles, ils ne voient pas au contraire
Que c'est elle au milieu qui entraîne ses grandes sœurs.
Et que sans elle elles ne seraient rien…
C'est elle, cette petite, qui entraîne tout.
Car la Foi ne voit que ce qui est. Et elle, elle voit ce qui sera.
La Charité n'aime que ce qui est. Et elle aime ce qui sera…
La Foi voit ce qui est. Dans le Temps et dans l'Éternité.
L'Espérance voit ce qui sera. Dans le temps et pour l'éternité…
Pour ainsi dire dans le futur de l'éternité même...
La Charité aime ce qui est. Dans le Temps et dans l'Éternité.
Dieu et le prochain.
Comme la Foi voit. Dieu et la création.
Mais l'Espérance aime ce qui sera. Dans le temps et pour l'éternité…
Pour ainsi dire dans le futur de l'éternité.
L'Espérance voit ce qui n'est pas encore et qui sera.
Elle aime ce qui n'est pas encore et qui sera…
Dans le futur du temps et de l'éternité. 

La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance.
La foi, ça ne m’étonne pas.
Ça n’est pas étonnant.
J’éclate tellement dans ma création.

La charité, dit Dieu, ça ne m’étonne pas.
Ça n’est pas étonnant.
Ces pauvres créatures sont si malheureuses qu’à moins d’avoir un coeur de pierre, comment n’auraient-elles point charité les unes des autres.

Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne.
Moi-même.
Ça c’est étonnant.



La foi va de soi. La foi marche toute seule. Pour
croire il n'y a qu'à se laisser aller, il n'y a qu'à
regarder. Pour ne pas croire il faudrait se vio-
-lenter, se torturer,se tourmenter, se contrarier.
Se raidir. Se prendre à l'envers, se mettre à l'en-
-vers, se remonter. La foi est toute naturelle, toute
allante, toute simple, toute venante. Toute bonne
venante. Toute belle allante. C'est une bonne
femme que l'on connaît, une vieille bonne
femme, une bonne vieille paroissienne, une
bonne femme de la paroisse, une vieille grand-
-mère, une bonne paroissienne. Elle nous raconte
les histoires de l'ancien temps, qui sont arrivées
dans l'ancien temps.

Pour ne pas croire, mon enfant, il faudrait
se boucher les yeux et les oreilles. Pour ne pas voir,
pour ne pas croire.

La charité va malheureusement de soi. La charité
marche toute seule. Pour aimer son prochain il
n'y a qu'à se laisser aller, il n'y a qu'à regarder
tant de détresse. Pour ne pas aimer son prochain
il faudrait se violenter, se torturer, se
tourmenter, se contrarier. Sa raidir. Se faire
mal. Se dénaturer, se prendre à l'envers, se
mettre à l'envers. Se remonter. La charité est
toute naturelle, toute jaillissante, toute simple,
toute bonne venante. C'est le premier mouve-
ment du cœur. C'est le premier mouvement qui
est le bon. La charité est une mère et une sœur.

Pour ne pas aimer son prochain, mon enfant, il
faudrait se boucher les yeux et les oreilles.
À tant de cris de détresse.

Mais l'espérance ne va pas de soi. L'espérance ne
va pas toute seule. Pour espérer, mon enfant, il
faut être bien heureux, il faut avoir obtenu,
reçu une grande grâce.

C'est la foi qui est facile et de ne pas croire qui se-
rait impossible. C'est la charité qui est facile et
de ne pas aimer qui serait impossible. Mais c'est
d'espérer qui est difficile.

à voix basse et honteusement

Et le facile et la pente est de désespérer et c'est la
grande tentation.
(Charles Péguy – Le proche du mystère de la deuxième vertu)
 

En terminant, voici un joli petit conte:  

Le conte des 4 bougies

Les quatre bougies brûlaient lentement.
L'ambiance était tellement silencieuse
qu'on pouvait entendre leur conversation.

La première dit :
'' Je suis la Paix !
Cependant personne
n'arrive à me maintenir allumée.
Je crois que je vais m'éteindre.''
Sa flamme diminua rapidement,
et elle s'éteignit complètement.

La deuxième dit :
'' Je suis la Foi !
Dorénavant je ne suis plus indispensable,
cela n'a pas de sens
que je reste allumée plus longtemps.''
Quand elle eut fini de parler,
une brise souffla sur elle et l'éteignit.

Triste, la troisième bougie se manifesta à son tour :
'' Je suis l'Amour !
Je n'ai pas de force pour rester allumée.
Les personnes me laissent de côté et
ne comprennent pas mon importance.
Elles oublient même d'aimer ceux
qui sont proches d'eux.''
Et, sans plus attendre, elle s'éteignit.

Soudain... un enfant entre
et voit les trois bougies éteintes.
'' Pourquoi êtes-vous éteintes ?
Vous deviez être allumées jusqu'à la fin''
En disant cela, l'enfant commença à pleurer.

Alors, la quatrième bougie parla :
'' N'aie pas peur, tant que j'ai ma flamme
nous pourrons allumer les autres bougies,
je suis l'Espérance ! ''

Avec des yeux brillants,
l'enfant prit la bougie de l'Espérance...
et alluma les autres.

Que l'Espérance ne s'éteigne jamais
en nos cœurs et que chacun de nous
puisse être l'outil nécessaire pour maintenir
l'Espérance, la Foi, la Paix et l'Amour !


(1) 

Le « sacrifice eucharistique » de Charles Péguy

maranatha.mmic.net/Peguy.html

Le « sacrifice eucharistique » de Charles Péguy. Une méditation sur la miraculeuse « restauration spirituelle » d'un grand intellectuel catholique français.

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