Ernest Hello et le « respect humain »
Ernest Hello
Lorsque j’avais une vingtaine
d’années, et que j’étais étudiant en philosophie à l’Université Laval, à
Québec, un de mes professeurs préférés, monsieur Alphonse Saint-Jacques, m’a
fait connaître l’auteur français Ernest Hello. Cet auteur n’avait pas « la
langue dans sa poche », comme on dit au Québec; ou encore, il « n’y
allait pas avec des gants blancs ». Ce genre d’auteur franchement en
désaccord avec le langage « politiquement correct » et aseptisé
qui a la cote de nos jours, me fait du bien. Le moins que l’on puisse dire,
c’est qu’il brise la monotonie. Si vous désirez
Mon professeur, monsieur
Saint-Jacques, m’a fait connaître le magnifique texte qu’a écrit Ernest Hello,
sur le « respect humain ». D’emblée, dans ce texte, Hello souligne le
fait que nous avons trouvé une façon absurde de nommer une réalité tout aussi
absurde. Il me fait grand plaisir de vous faire connaître ce texte:
« Le
sentiment le plus bizarre qu’un être quelconque puisse éprouver, est le mépris
du bien et le respect du mal. Ce sentiment existe; on lui a donné un nom
absurde comme la chose, un nom fou, qui ne signifie rien, et qui a raison de ne
rien signifier, puisqu’il exprime le néant: ce nom, c’est le respect humain.
Chose
admirable! Depuis que le bon sens est troublé dans son fond, et menacé dans ses
ruines, les langues humaines contiennent d’effrayantes absurdités. Le sentiment
dont je parle, parce qu’il est le contre-bon sens le plus radical que la pensée
de Satan puisse concevoir, a nécessité une expression folle, qui ne peut
signifier quelque chose que dans une maison d’aliénés.
Je me
figure souvent un génie voyageur, un être supérieur à l’homme et ignorant de
l’homme, à qui je serais chargé d’apprendre ce qui se passe sur la terre. Je me
figure un esprit qui viendrait du ciel et ferait connaissance avec ce bas
monde; je le vois tombant, quand je lui dirais les choses qui nous paraissent
simples, dans des extases de stupéfaction.
« Vous
savez mieux que moi, lui dirais-je, ce que c’est que le vrai, ce que c’est que le beau. J’en
sais pourtant assez pour savoir que, si j’en savais davantage, je mourrais
d’admiration. Je fondrais, comme la cire devant l’essence du feu; et c’est
pourquoi je ne vois pas encore tout ce que je verrai un jour … Mais voici, ô mon maître et mon élève! ce que
vous ne savez pas, et ce que je vous apprends.
Celui
qui Est, celui dont le Nom ne se prononce qu’en adorant, celui devant qui les
séraphins voilés et timides battent à peine des ailes tremblantes, devinez le
sentiment que beaucoup d’hommes éprouvent en face de lui. Devinez! Vous pensez
à la crainte, vous pensez à l’amour. Vous ne devinez pas. Ô mon maître et mon
élève! en face du Dieu de gloire, ils éprouvent la honte. »
Il me
ferait répéter, l’Archange voyageur; il ne comprendrait pas; il me
dirait : « Lequel de nous deux
devient fou? » Je m’épuiserais en
explications. Je lui dirais : « Oui,
Monseigneur, les hommes sont fiers d’ignorer le Vrai, l’Être, le Beau; ils le
méprisent et sont fiers de leur mépris. Si quelqu’un préfère ce infini que
j’attends, cet infini dont vous êtes imprégné et ruisselant, si quelqu’un le
préfère à un tas d’ordures, on lui dit: Cachez-vous, n’avouez pas votre
préférence, car nous allons nous moquer de vous.
Quant à
ceux qui ont préféré le tas d’ordures, ils ne se bornent pas à s’y vautrer, ce
qui serait explicable, mais ils s’y vautrent fièrement, et méprisent, en
piétinant dans la boue, en cherchant la ressemblance des singes, ceux qui
cherchent, sur la montagne, la ressemblance de Dieu. On a même inventé qu’il
était beau de s’écarter du vrai. Vous ne comprenez pas, Monseigneur, ni moi non
plus. On a inventé que les vices, les crimes, dont nous ne pourrions supporter
la forme idéale, si elle nous apparaissait, sans mourir, foudroyés d’horreur,
étaient BEAUX; et la conformité royale et splendide de l’âme créée avec l’Être
de Dieu, cet encens qui monte au trône de Dieu, plus pur et plus fort que celui
des roses de la terre, ce diamant du ciel qui est feu et parfum, les hommes se
sont dit entre eux que ces choses étaient petites, mesquines, laides, et que
ceux qui avaient l’esprit assez bas pour les préférer aux adultères glorieux que
les romans divinisent, devaient au moins se cacher.
Je
parlerais longtemps, et plus serait intelligent mon céleste interlocuteur, et
moins il comprendrait, car l’intelligence
comprend l’Être et l’inintelligence comprend le Néant. C’est en touchant à
la science du mal que l’homme a
désappris tout ce qu’il a désappris, le jour où Satan l’a trompé. L’inintelligence
comprend le Néant … Ce dernier mot donne la clef des choses de ce monde; il
explique les réputations humaines. Beaucoup d’hommes seront trop bas pour le
comprendre encore; d’autres hommes, de niveau avec lui, le comprendront déjà.
Mais
peut-être le génie voyageur, étant au-dessus de lui, ne le comprendrait plus. Et
moi, qui ai tant souffert dans ma vie de voir les choses de l’intelligence n’être
pas comprises par des êtres trop au-dessous d’elles, je jouirais de voir les
choses de l’inintelligence n’être pas comprises par un être trop au-dessus d’elles.
Et si j’arrivais à prononcer devant lui le nom de cette chose qui n’en devrait
pas avoir, si je disais : les hommes appellent respect cet inexplicable et
universel mépris de tout ce qui est, la conversation finirait sans doute; je
verrais l’esprit voyageur déployer ses ailes de diamant, légères et brûlantes:
fatigué de l’absurde, il s’envolerait pour se reposer: croyant à une
plaisanterie, dont je m’obstinerais à lui refuser le mot, il irait chercher, dans
les régions supérieures, des choses claires, des choses simples, des choses
intelligibles.
(Tiré de: Ernest Hello, L’HOMME, La Vie – La Science – l’Art, Paris, pp 35-38)
P.S. Il m’est arrivé de penser qu’Ernest Hello et
Léon Bloy étaient des personnalités très semblables. Or je viens d’apprendre,
grâce à Wikipedia, que « D'après Raïssa Maritain,
la conversion de Léon Bloy doit beaucoup à Ernest Hello. »
Voici d’ailleurs ce que l’on
peut trouver sur Wikipedia:
« De quelque ridicule
qu'on se soit plu à l'accabler, Ernest Hello fut, au moins cette merveilleuse
rareté qu'on appelle une âme, et, certes, l'une des plus vivantes, vibrantes et
intensément passionnées qui se soient rencontrées sur notre planète. Il fut, en
même temps, un écrivain d'un art étrange et mystérieux. Mais, pour comprendre
cet art et pour en jouir, il faut un sens esthétique assez indépendant pour se
supposer chrétien dès l'instant qu'on ouvre ses livres. Difficile effort, j'en
conviens, pour des intelligences aussi jetées que les nôtres aux murènes
affamées du rationalisme. Ce catholique a précisément, au suprême degré, ce qui
horripile plus que tout les toléranciers du monde : je veux dire la haine
de l'erreur. [...] Cette haine de l'erreur qui ne vise que les doctrines sans
toucher aux personnes est si brûlante qu'elle pénètre profondément son style et
le colore de teintes violentes et orageuses, qu'il n'aurait, sans doute, jamais
obtenues sans cela. Sans ce que Joseph de Maistre appelle la "colère de
l'amour", il n'aurait peut-être été qu'un dialecticien quelconque, un
apologiste religieux après tant d'autres, armé tout au plus d'une ironie très
douce et très bénigne, et l'inattention universelle l'aurait très
silencieusement enseveli dans le recoin le plus obscur de ses catacombes. Mais
ce sentiment seul lui donne une personnalité inouïe, un accent littéraire
tellement à part qu'il est impossible, avec la meilleure volonté d'être
injuste, de ne pas en être frappé. » - Léon Bloy
« De quelque ridicule
qu'on se soit plu à l'accabler, Ernest Hello fut, au moins cette merveilleuse
rareté qu'on appelle une âme, et, certes, l'une des plus vivantes, vibrantes et
intensément passionnées qui se soient rencontrées sur notre planète. Il fut, en
même temps, un écrivain d'un art étrange et mystérieux. Mais, pour comprendre
cet art et pour en jouir, il faut un sens esthétique assez indépendant pour se
supposer chrétien dès l'instant qu'on ouvre ses livres. Difficile effort, j'en
conviens, pour des intelligences aussi jetées que les nôtres aux murènes
affamées du rationalisme. Ce catholique a précisément, au suprême degré, ce qui
horripile plus que tout les toléranciers du monde : je veux dire la haine
de l'erreur. [...] Cette haine de l'erreur qui ne vise que les doctrines sans
toucher aux personnes est si brûlante qu'elle pénètre profondément son style et
le colore de teintes violentes et orageuses, qu'il n'aurait, sans doute, jamais
obtenues sans cela. Sans ce que Joseph de Maistre appelle la "colère de
l'amour", il n'aurait peut-être été qu'un dialecticien quelconque, un
apologiste religieux après tant d'autres, armé tout au plus d'une ironie très
douce et très bénigne, et l'inattention universelle l'aurait très
silencieusement enseveli dans le recoin le plus obscur de ses catacombes. Mais
ce sentiment seul lui donne une personnalité inouïe, un accent littéraire
tellement à part qu'il est impossible, avec la meilleure volonté d'être
injuste, de ne pas en être frappé. » - Léon Bloy
Tiré de:
fr.wikipedia.org/wiki/Ernest_Hello
Si vous désirez lire plus en détail le texte très élogieux qu'a écrit Léon Bloy sur Ernest Hello, texte intitulé: Le fou, veuillez cliquer sur le lien ci-dessous. Le titre de ce texte (Le fou), m'a fait sourire car à la fin d'un cours donné par monsieur Saint-Jacques, mon ami et professeur de philo, j'ai entendu certains étudiants dire de lui: " Il est fou ". J'ai été tellement étonné d'entendre de tels propos. Comme il est étrange qu'une même personne puisse être considérée comme " très intelligente " par certains, et en même temps, comme " folle " par d'autres! Pour lire le début du texte de Léon Bloy reproduit ci-dessous, il vous faudra " remonter un peu " le texte, au moyen de la souris et du curseur.
Léon Bloy - Oeuvres LCI/73: - Résultats Google Recherche de Livres
https://books.google.ca/books?id=pL1DBgAAQBAJ
https://books.google.ca/books?id=pL1DBgAAQBAJ
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