samedi 30 novembre 2013

Le pape François et la charte

Le pape François et la charte

Le titre donné à ce texte, a dû vous intriguer. C’est comme si j’insinuais que le pape ait commenté les événements politiques récents au Québec. Il n’en n’est rien. Mais je suis toujours étonné de voir comment les événements dans le monde, s’entrecroisent et s’éclairent les uns les autres. Je ne serais pas très surpris que le pape soit au courant de ce qui se passe au Québec en ce moment, et qu’il prie pour cela. Ne reçoit-il pas régulièrement la visite du cardinal Marc Ouellet (cardinal québécois, préfet de la Congrégation pour les  évêques)?

Quoi qu’il en soit, le pape François a tenu des propos ces jours-ci, qui peuvent nous aider dans notre discernement sur la charte déposée il y a quelques jours, comme projet de loi,  au Québec. Dans un discours que le Saint-Père a tenu il y a deux jours (le 28 novembre) devant l’assemblée plénière du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, nous trouvons des principes importants sur la façon de considérer les religions dans la société. Ce discours, actuellement, n’existe dans son entier qu’en italien, sur internet. J’ai vécu neuf ans à Rome, je connais assez bien l’italien. Je vais traduire pour vous, dans son entièreté, ce discours que je juge très pertinent pour nous en ce moment au Québec. 

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS AUX PARTICIPANTS DE LA PLÉNIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX
 Salle Clémentine, jeudi, le 28 novembre 2013  

Messieurs les Cardinaux, 

chers frères dans l’Épiscopat,

chers frères et sœurs, 
Avant tout, je m’excuse pour le retard. Les audiences ont été retardées. Je vous remercie pour votre patience. Je suis heureux de vous rencontrer dans le contexte de votre Session Plénière. J’adresse à chacun de vous la plus cordiale bienvenue et je remercie le Cardinal Jean-Louis Tauran pour les paroles qu’il m’a adressées en votre nom.  

L’Église catholique est consciente de la valeur que revêt la promotion de l’amitié et du respect entre les hommes et les femmes de diverses traditions religieuses. Nous en comprenons toujours plus l’importance, soit parce que le monde est, en quelque sorte, devenu plus petit, soit parce que le phénomène des migrations augmente les contacts entre personnes et communautés de tradition, culture, et religion différentes. Cette réalité interpelle notre conscience de chrétiens et constitue un défi pour la compréhension de la foi et pour la vie concrète des Églises locales, des paroisses et des très nombreux croyants. 

Il en résulte que le thème choisi pour votre rassemblement, est de particulière actualité : « Membres de différentes traditions religieuses dans la société ». Comme je l’ai affirmé dans l’Exhortation Evangelii gaudium (l’Évangile de la joie), « une attitude d’ouverture dans la vérité et dans l’amour, doit caractériser le dialogue avec les croyants des religions non chrétiennes, malgré les vrais obstacles et les difficultés, en particulier les fondamentalismes qui se retrouvent dans les deux camps » (n. 250). En effet, il ne manque pas dans le monde de contextes où le vivre ensemble est difficile : souvent des motifs politiques et économiques se superposent aux différences culturelles et religieuses, levant aussi le voile sur des incompréhensions et des erreurs du passé. Tout cela risque d’engendrer de la méfiance et de la peur. Il n’existe qu’une seule voie pour vaincre cette peur, c’est celle du dialogue, de la rencontre, sous le signe de l’amitié et du respect. Quand on marche en cette voie, le chemin est humain.

Dialoguer ne signifie pas renoncer à la propre identité lorsqu'on va à la rencontre de l’autre, et encore moins, céder à des compromis sur la foi et la morale chrétiennes. Au contraire, « la vraie ouverture implique de se maintenir ferme dans les convictions personnelles les plus profondes, grâce à une identité claire et joyeuse » (ibid, n. 251), et ainsi être ouvert pour comprendre les raisons de l’autre, et être capable de relations humaines respectueuses, dans la conviction que la rencontre de qui est différent de moi, peut être l’occasion d’une croissance dans la fraternité, d’un enrichissement et d’un témoignage. C’est pour cela que dialogue interreligieux et évangélisation ne s’excluent pas, mais s’alimentent réciproquement. Nous n’imposons rien, nous n’usons d’aucune stratégie sournoise pour attirer des fidèles, mais au contraire, nous témoignons avec joie et simplicité de ce que nous croyons et de ce que nous sommes. En effet, une rencontre dans laquelle chaque personne mettrait de côté ce en quoi elle croit, en faisant semblant de renoncer à ce qu’elle a de plus cher, ne serait certainement pas une rencontre authentique. Dans un tel cas, on pourrait parler de semblant de fraternité. En tant que disciples de Jésus, nous devons nous efforcer de vaincre la peur, toujours prêts à faire le premier pas, sans nous laisser décourager par les difficultés et les incompréhensions.

Le dialogue constructif entre personnes de diverses traditions religieuses, sert aussi à surmonter une autre peur, que nous rencontrons malheureusement de plus en plus, dans les sociétés fortement sécularisées: la peur envers les diverses traditions religieuses et la peur envers la dimension religieuse en tant que telle. La religion est perçue comme quelque chose d’inutile et même plus, comme quelque chose de dangereux. Parfois on s’attend à ce que les chrétiens renoncent à leurs propres convictions religieuses et morales, dans l’exercice de leur profession (cfr Benoît XVI, Discours au Corps Diplomatique, 10 janvier 2011). Est répandue la pensée selon laquelle la convivence ne serait possible qu’en cachant la propre appartenance religieuse, et en se rencontrant dans une sorte d’espace neutre, privé de référence à la transcendance. Mais encore là : comment serait-il possible de créer de vraies relations, de construire une société qui soit vraiment une demeure commune, en imposant aux gens de mettre de côté ce qu’ils  considèrent comme étant la partie le plus intime de leur être? Il n’est pas possible de penser à une « fraternité de laboratoire ». Il est certainement nécessaire que tout se passe dans le respect des convictions de l’autre, aussi de celui qui ne croit pas, mais nous devons avoir le courage et la patience de nous rencontrer avec ce que nous sommes. Le futur réside dans le vivre ensemble respectueux de la diversité, et non pas dans l’homologation d’une pensée unique théoriquement neutre. Nous avons vu à travers l’histoire, la tragédie des pensées uniques. La reconnaissance du droit fondamental à la liberté religieuse, dans toutes ses dimensions, est par conséquent indispensable. Sur ce point, le Magistère de l’Église s’est exprimé avec grande conviction, durant les dernières décennies. Nous sommes convaincus que c’est par ce chemin que passe l’édification de la paix dans le monde.

Je remercie le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, pour le précieux service qu’il rend, et j’invoque sur chacun de vous, l’abondance de la bénédiction du Seigneur. Merci.

Bonus :
Le cardinal Stanislas Rylko, président du Conseil pontifical pour les laïcs, de passage à Paris, est intervenu le 16 novembre dernier, lors du 26ème  Colloque national des juristes catholiques, sur le thème « Le Mariage en questions ». Voici quelques extraits de l’allocution qu’il a donnée à cette occasion.  

« Face aux graves défis de la postmodernité, nous, chrétiens, nous ne pouvons pas rester indifférents, ni nous taire ! A notre époque, le message de l’Exhortation apostolique Christifideles laici a acquis un caractère d’une urgence particulière : « Des situations nouvelles, dans l’Eglise comme dans le monde, dans les réalités sociales, économiques, politiques et culturelles, exigent aujourd’hui, de façon toute particulière, l’action des fidèles laïcs. S’il a toujours été inadmissible de s’en désintéresser, présentement c’est plus répréhensible que jamais. Il n’est permis à personne de rester à ne rien faire ».[2] Aujourd’hui, tout spécialement, une présence visible et incisive des chrétiens est nécessaire dans la vie publique, avec l’audace d’être vraiment un “ levain évangélique ”, le “ sel ” et la “ lumière ” du monde, en étant guidés par l’Évangile et par la Doctrine sociale de l’Église.  …
A notre époque, la culture dominante enferme la foi dans le domaine strictement privé, éliminant Dieu de la sphère publique. Nous assistons à une véritable “ christianophobie ” et à un dangereux fondamentalisme laïciste. Dans les démocraties occidentales, là où l’on parle de tant de tolérance, la liberté religieuse est même sérieusement menacée. Le pape Benoît XVI a parlé d’une périlleuse expansion de ce qu’on appelle la “ tolérance négative ” qui, pour ne pas importuner les non-croyants ou les autres croyants, élimine tous les symboles religieux de la vie publique. Ainsi - paradoxalement - au nom de la tolérance, on abolit la tolérance elle-même.[4] Une telle situation requiert indéniablement des fidèles laïcs le courage d’aller à contre-courant et d’être dans le monde un “signe de contradiction”. En outre, elle les sollicite à sortir des sacristies et du cadre des discours internes à l’Église, en devenant des témoins persuasifs de l’Évangile au cœur du monde. Il est vrai que, dans la société occidentale, nous, les chrétiens, nous sommes une minorité. Toutefois, le vrai problème n’est pas là. Le sel est “minoritaire” dans la nourriture, mais il lui donne son goût ; le levain est “minoritaire” dans la pâte, mais il la fait fermenter. Notre vrai problème consiste à ne pas devenir insignifiants, “insipides”, à ne pas perdre la “saveur évangélique”... L’antique auteur de la Lettre à Diognète disait : « /Les chrétiens / sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel /.../ En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde... ».
Rencontrant des membres du Sénat et de l’Assemblée nationale de la République française, le pape François a tenu à réaffirmer que « le principe de laïcité qui gouverne les relations entre l’Etat français et les différentes confessions religieuses ne doit pas signifier en soi une hostilité à la réalité religieuse, ou une exclusion des religions du champ social et des débats qui l’animent. …  
Aujourd’hui la “liberté du faire” – disait le pape Benoît XVI, commentant l’intéressante étude du Grand rabbin de France, Gilles Bernheim – est en train de se commuer en une “liberté de se faire soi-même”, d’une manière complètement arbitraire, sans tenir compte de la loi que le Dieu Créateur a inscrit dans la nature de l’être humain (la loi naturelle!).[7] Les nouvelles lois sur le mariage et la famille, promulguées par de nombreux Parlements, en sont une preuve éclatante.
Comme chrétiens, en cette époque, nous sommes donc appelés tout particulièrement à être les gardiens de l’être humain, de sa dignité et de ses droits inaliénables. Mais pour accomplir une mission si haute et si importante, nous devons avoir un concept très clair de notre identité de disciples du Christ. Cette conscience est aujourd’hui loin d’être acquise, car elle est souvent chargée de problèmes. Le relativisme et la “pensée faible” engendrent des personnalités fragiles, fragmentées et incohérentes. Les modèles de vie imposés par la culture dominante sèment partout l’égarement et la confusion, même parmi les baptisés. Le cadre “identitaire” du chrétien moyen devient toujours davantage le résultat d’un ensemble de choix arbitraires et commodes. Le pape François dénonce souvent ce danger et parle fréquemment de chrétiens “endormis”, de chrétiens “à temps partiel”, de chrétiens “que de nom”... alors que le monde d’aujourd’hui a besoin de vrais chrétiens mûrs, qui soient d’authentiques témoins du Christ et de son Evangile. En d’autres termes, il a besoin de chrétiens qui vivent à fond la réalité du Baptême reçu. La question de l’identité des baptisés tenait particulièrement à cœur aux Pères de l’Eglise. Saint Léon le Grand exhortait ainsi ses fidèles : « Chrétien, reconnais ta dignité » ; à son tour saint Ignace d’Antioche réaffirmait : « Il ne suffit pas d’être appelés chrétiens, il faut l’être vraiment... ».  …
Vivre à fond l’identité chrétienne signifie surtout décider de mettre Dieu au centre de sa vie. Il ne s’agit pas d’un Dieu quelconque, mais de ce Dieu qui s’est révélé dans le visage de Jésus-Christ.  …
En ce temps de grave crise qui bouleverse le monde et qui n’est pas seulement une crise économique et financière, mais surtout une crise anthropologique, un chrétien court facilement le risque de sombrer dans l’amertume de la déception, de se laisser aller au découragement ou encore de développer une vision apocalyptique et catastrophique de l’histoire. Les changements profonds que connaît notre monde mettent à dure épreuve nos  certitudes de toujours et même notre foi. De fait, l’espérance de beaucoup de nos contemporains commence à vaciller ! Face à une telle situation, les chrétiens se voient confier une tâche extrêmement urgente : être des témoins crédibles de l’espérance. Le pape François nous a encouragés à maintes reprises à ce sujet : « Ne vous laissez pas voler l’espérance ! ». En outre, il nous a demandé de « lire la réalité, mais aussi (de) vivre cette réalité, sans peurs, sans fuites, et sans catastrophismes. Toute crise – a expliqué le Saint-Père - même la crise actuelle, est un passage, le travail d’un accouchement qui comporte peine, difficulté, souffrance, mais qui porte en lui l’horizon de la vie, d’un renouvellement, qui porte la force de l’espérance /.../ La crise peut devenir un moment de purification, pour revoir nos modèles économiques et sociaux et une certaine conception du progrès qui a nourri nos illusions, pour récupérer l’humain dans toutes ses dimensions ».[11]

[2] Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Christifideles laici, n° 3.                    
[4] Cf. Benoît XVI, Luce del mondo. Il Papa, la Chiesa e i segni dei tempi. Una conversazione con Peter Seewald, Libreria Editrice Vaticana 2010, p. 82.
[7] Cf. Benoît XVI, Discours pour la présentation des vœux de Noël à la Curie romaine, 21 décembre 2012.
[11] François, Discours durant la rencontre avec le monde de la culture dans l’Aula Magna de la Faculté Pontificale Théologique de la Sardaigne à Cagliari, 22 septembre 2013.


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