Éric Venot-Eiffel et les
ténèbres de la foi
Tous les livres
que nous lisons, n’ont pas la même importance. Cela va de soi, me direz-vous.
Oui, mais il est bon de se demander pourquoi. J’ai terminé ces jours-ci, un
livre qui m’a beaucoup touché, car il a su répondre, dans une certaine mesure,
à une interrogation que je porte en moi depuis des années. Il y a une épreuve
que certains de mes confrères Oblats de
la Vierge Marie ont vécue et qui est terrible. Aux dires de ces confrères,
qui ne sont plus Oblats de la Vierge
Marie, et qui d’ailleurs, ne sont plus prêtres, ils auraient perdu la foi.
Pouvons-nous seulement imaginer ce que cela peut signifier, pour un prêtre, de
perdre la foi, ou même d’avoir le sentiment d’avoir perdu la foi? Si perdre la
foi est un drame pour tout être humain, je pense qu’il est un drame encore plus
grand, si cette épreuve est vécue par un prêtre.
Un prêtre
français a vécu cette expérience et nous l’a partagée. J’ai connu ce prêtre par
hasard, en voyant à la télévision, une entrevue qu’il a donnée sur Ktotv (1). Immédiatement après avoir vu
l’entrevue, je savais que j’achèterais le livre écrit par ce prêtre, dont voici la
référence : Éric Venot-Eiffel, J’ai
tant douté de toi, Paris, Médiaspaul, 2012, 150 pages.
J’aime beaucoup
le titre du livre : « J’ai tant
douté de toi ». Ce titre me fait penser à une chanson de Jean Ferrat,
intitulée : « Que serais-je
sans toi? » (2). Le titre de cette chanson comprend six syllabes, tout
comme le titre du livre de l’abbé Venot-Eiffel, et tout comme les paroles
suivantes, qui se trouvent dans la chanson : « J’ai tout appris de toi » (« J’ai tant douté de toi »). Lorsque j’écoute ou que je chante
« Que serais-je sans toi » ou « J’ai tout appris de toi », j’adresse ces mots à Dieu. J’aime
bien « christianiser » les chansons populaires, du moins dans mon
esprit. Il est bien vrai que j’ai tout appris de mon Dieu, « sur les choses humaines ». Et je
suis sûr que l’abbé Venot-Eiffel dirait
lui aussi, qu’il a tout appris de son Dieu. D’où le drame intérieur terrible
que ce doit être, d’avoir le sentiment de ne plus croire en Celui qui nous a
tout appris.
Ce drame
intérieur, pour l’abbé Venot-Eiffel, a duré dix-sept ans. Dix-sept années de
pur Calvaire, de 1994 à 2011. Voici quelques lignes qui nous décrivent ce
drame :
« Et soudain l’épreuve tombe; c’est comme si la nuit
entrait en moi; je sens la Foi, ma Foi, se retirer. Dieu, la vie éternelle, ce
sont des inventions des hommes. J’ai bâti mon existence sur du vide. Je suis
sonné. Sur le moment je ne parviens pas bien à intégrer ce qui vient de se
passer. Dormons un peu, une petite sieste, des idées claires viendront après.
Mais non, rien ne vient, ou plutôt rien ne revient. Le soir aux Vêpres et à
l’heure de prière silencieuse je suis perdu; je tâche malgré tout de faire
bonne figure dans les jours et les semaines qui suivent. » (J’ai tant douté de toi,
pp. 16-17)
« Telle la mer à la descente des eaux, la foi s’est
retirée. Je veux parler de cette adhésion de fond à l’existence de Dieu. Dieu
qui avait pour moi le visage du Christ, ce trésor qu’il m’a été donné de trouver
« caché dans un champ » tel l’homme de la parabole (Mt 13, 44)
lorsque j’avais 23 ans.
Je sais que la foi se vit ordinairement dans une certaine
obscurité. Mais depuis dix-sept ans, c’est autre chose.
Pour autant, je suis totalement sincère lorsque je célèbre
la messe et que je parle de Dieu. Je ne fais pas semblant; je dis ce que je
veux croire : ces réalités de la foi qui, je le sens, sont inscrites en
moi quelque part, dans une zone que je ne peux atteindre; je m’appuie sur le
souvenir de l’homme que j’étais. Et, dans ce que je fais, je mets le maximum
d’amour (mon tempérament perfectionniste m’y pousse), mais sans la foi pour
alimenter cet amour. » (J’ai tant douté de toi, p. 12)
L’abbé
Venot-Eiffel, sera aidé par des mystiques qui ont aussi vécu la nuit de la foi.
Thérèse de l’Enfant-Jésus sera d’un grand secours pour le prêtre qui vit lui
aussi sa nuit obscure. En particulier cette phrase de Thérèse : « Il ne me reste que l’amour ».
« Dans
un livre sur Thérèse, Maurice Bellet a ces mots admirables que je vais appendre
par cœur : « Dieu est cet Inconnu, par-dessous le gouffre de
l’absence, qui s’éveille en nos cœurs et nos mains, lorsque nous nous faisons
proches du prochain. » Voilà. Je vais me raccrocher à cela. La foi s’est
retirée, mais l’amour est à ma portée. Et, si Dieu existe, je vais ainsi
entretenir mon lien avec Lui, mais dans la nuit, le gouffre de l’absence
qu’évoque Maurice Bellet. Si Dieu n’existe pas, me faire proche du prochain,
aimer celles et ceux qui sont sur ma route, faire ce qu’on attend de moi et qui
a du sens, est-ce une erreur? Seulement, voilà : Dans notre règle de vie
quotidienne (à l’époque, l’abbé Venot-Eiffel est moine Carme), il y a toutes ces
heures passées à prier. Dans l’état où je suis, comment les supporter, comment
leur donner du sens? »
L’abbé
Venot-Eiffel, quittera les Carmes et deviendra prêtre diocésain. Il travaillera
comme aumônier d’hôpital et comme aumônier de prison. C’est la charité qui sera
le moteur de sa vie; un peu comme Mère Teresa de Calcutta, qui a aussi vécu la
nuit de la foi, pendant de très nombreuses années. Mère Teresa disait que ce
qui l’encourageait à continuer dans sa vocation, c’était de voir qu’elle
faisait du bien aux gens. Les gens témoignaient, en sa présence, que ses
paroles et ses gestes les réconfortaient. Mère Teresa voulait alors voir en
cela, l’action de Dieu en elle.
À la suggestion
d’un des ses confrères prêtres, l’abbé Venot-Eiffel, a cherché du secours dans
un accompagnement spirituel. Quelle bonne suggestion! Quelle bonne décision! Il a eu comme
accompagnateur spirituel, l’abbé Xavier Thévenot, qui est un auteur spirituel
très connu. L’abbé Thévenot sera d’une grande aide pour le prêtre qui vient se confier à lui, désemparé
par tant d’obscurités.
S’il y a une
vérité que l’on retrouve comme un leitmotiv, dans le livre de l’abbé
Venot-Eiffel, c’est celle-ci : les voies de Dieu sont insondables et nous
ne pouvons jamais être certains de les interpréter correctement. Ceci étant
dit, je vais vous partager la lumière principale que j’ai retirée de ce livre.
Comment expliquer le fait que Dieu permette que des gens ancrés dans la foi,
des personnes qui ont tout misé sur leur croyance en Dieu, vivent l’épreuve
spirituelle de la « nuit de la foi »?
C’est un dialogue de l’abbé Thévenot avec l’abbé Venot-Eiffel, qui m’a mis sur
la piste de l’explication que je cherchais depuis déjà quelques années. L’abbé Thévenot parle du livre
qu’il est en train d’écrire et qui s’intitule : Avance en eau profonde. Il s’agit du journal spirituel que l’abbé
Thévenot a écrit durant sa maladie. L’abbé Thévenot confie ceci à l’abbé
Venot-Eiffel :
« Je suis peut-être appelé à m’avancer dans les eaux
profondes de la culture contemporaine, une culture marquée par une certaine
apologie du doute, le doute qui met en cause tout absolutisme de pensée, de
quelque ordre qu’il soit, et notamment religieux. Comme si le Christ me
disait : « C’est à cette condition seulement que tu seras pêcheur
d’hommes! » (J’ai tant douté de
toi, p. 24)
Personnellement, je crois que le fait que Dieu permette à
tant de personnes croyantes de notre temps, de vivre la « nuit de la foi » ou « les ténèbres de la foi », c’est en
raison d’un fait historique nouveau. Pour la première fois dans l’histoire de
l’humanité, nous retrouvons sur terre la propagation fulgurante de l’athéisme.
De très nombreuses personnes, spécialement dans les sociétés dites
« avancées », sont athées ou se proclament athées. Voici une
situation tout à fait nouvelle et très déconcertante. Je pense que Dieu devant
la prolifération de l’athéisme, se sert d’âmes choisies et aimées par Lui, pour leur faire vivre en quelque sorte, l’expérience de l’athéisme. Tout cela, bien sûr,
dans une perspective de salut et de miséricorde. Ces amis de Jésus, qui connaîtront en
leur âme, les affres de l’athéisme, et qui contre vents et marées, voudront
tenir le flambeau de la foi qui semble éteint en eux, contribueront, grâce à
l’offrande amoureuse de leur souffrance, au salut de notre monde; et en
particulier au salut de nombreuses personnes athées. Voilà du moins comment je
perçois la chose, et la conviction qu’a fait surgir en moi, la lecture du livre
J’ai tant douté de toi.
Pour appuyer cette thèse, ou plutôt cette hypothèse, voici
deux citations de sainte Thérèse de Lisieux, que nous retrouvons dans le livre
de l’abbé Venot-Eiffel :
« Dans le recueil Les
derniers entretiens, elle (Thérèse) évoque le « raisonnement des pires matérialistes
qui s’impose à son âme » (J’ai tant douté de toi, p. 18)
Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus a cru comprendre le sens
de l’épreuve de la foi qu’elle a vécue :
« Jésus m’a fait sentir qu’il y a véritablement des
âmes qui n’ont pas la foi, qui par l’abus des grâces perdent ce précieux
trésor. » Que veut dire Thérèse par des abus de grâces? Il me semble
qu’elle part de sa propre expérience et qu’elle pense : elle qui a reçu
tant de grâces de foi pourrait se laisser aller, découragée par la brutalité de
l’épreuve; elle pourrait ne pas lutter comme elle lutte (car Thérèse se
bat : « Je crois avoir fait plus d’actes de foi depuis un an que
pendant toute ma vie ») et ainsi abuser des grâces reçues durant son
existence; c’est-à-dire ne pas en faire grand cas, les oublier d’une certaine
manière et se laisser happer par les ténèbres.
Ces hommes qui ont abusé des grâces, elle les appelle
pécheurs, et elle pense que Jésus la veut spirituellement assise à leur table.
De même qu’il allait lui-même s’inviter à la table de pécheurs tels Zachée ou
Matthieu, Jésus veut Thérèse là, entrant dans ce même mouvement, habitant
spirituellement ce lieu précis de l’Évangile durant les 18 derniers mois de sa
vie.
Seigneur, votre enfant l’a comprise, votre divine lumière,
elle vous demande pardon pour ses frères, elle accepte de manger aussi
longtemps que vous le voudrez le pain de la douleur et ne veut point se lever
de cette table remplie d’amertume où mangent les pauvres pécheurs avant le jour
que vous avez marqué … Ô Seigneur, que
tous ceux qui ne sont point éclairés du lumineux flambeau de la foi le voient
luire enfin! » (J’ai tant douté de
toi, pp. 33-34)
Pour l’abbé Venot-Eiffel, l’heure du retour à la jouissance
de la foi, a sonné en septembre 2011. La foi s’est glissée en lui tout
doucement, à la manière de la brise légère qui a fait réaliser au prophète
Élie que Dieu était avec lui (1
Rois 19, 12). Et ce retour de la foi, n’est pas venu seul. Des
choses ont changé pour le mieux dans le cœur de l’abbé Venot-Eiffel, et il
semble très heureux d’en témoigner. Pour moi, cela est un signe que l’épreuve
venait de Dieu, en quelque sorte; ou était permise par Dieu. On juge d’une vie
humaine, à ses fruits, nous dit Jésus; or on juge aussi d’une expérience
spirituelle, à ses fruits. L’épreuve chrétienne recèle toujours de merveilleux
fruits, que l’on ne peut goûter et contempler qu’une fois l’épreuve passée.
Je vous ai déjà partagé l’épreuve de ma vie : la
dépression sévère que j’ai vécue en 1997-1998. Que de beaux fruits ont produit
en mois ces mois d’enfer. Voilà le mystère chrétien, voilà le fruit de la Pâques
que nous nous préparons à célébrer et à intégrer de nouveau dans nos vies.
(1)
Père Éric Venot-Eiffel - KTO
www.ktotv.com/video/00080785/pere-eric-venot-eiffel
16 déc. 2013
Le père Vénot-Eiffel témoigne de la nuit de la foi qui a "fondu" sur lui en 1994, deux mois après le décès de son ...
Termes manquants : youtube
(2)
Jean Ferrat Que serais je sans toi - YouTube | |
www.youtube.com/watch?v=I1lqm5g4RsA13 Mar 2010 - 3 min - Uploaded by espacecrea2010hdb |
Quel beau témoignage... comme quoi il ne faut jamais désespérer de rien...
RépondreSupprimerUne poignante et saisissante introspection vers le chemin de l'espérance
RépondreSupprimerLa foi est un don de Dieu