Aime-toi !
Aujourd’hui, dans l'évangile de ce dimanche, un docteur de la loi
demande à Jésus : « Maître,
quel est le grand commandement? ». Et Jésus répond : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton
cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier
commandement. » Est-ce que cela ne vous étonne pas? Que Dieu en Personne, en la Personne
de Jésus, nous dise que le premier de tous les commandements, c’est d’aimer Dieu
de tout son cœur. Moi, cela m’étonne beaucoup.
Est-ce qu’un nouveau-né a besoin
qu’on lui commande d’aimer sa mère? Est-ce qu’un enfant qui vit dans une
famille disons « normale »,
a besoin qu’on lui commande d’aimer ses parents? Est-ce qu’il ne fera pas cela
instinctivement? Alors pourquoi un commandement pour aimer Dieu, surtout une
fois que l’on connaît ce Dieu, que l’on connaît le vrai Dieu? Un Dieu dont on
sait qu’il nous aime infiniment, et dont on a des preuves à longueur de jours,
comment peut-on nous commander de l’aimer? Je trouve cela très triste que Dieu ait à nous commander de l'aimer.
Le grand mystère pour saint François d’Assise était celui-ci : « L’Amour (Dieu) n’est pas aimé. ».
Et Jésus, ne se contente pas de
donner le premier commandement; il nous donne aussi le second : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. ».
Est-ce que ce second commandement vous étonne? Moi, il m’étonne. La mesure dont
je dois me servir pour aimer mon prochain, c’est la mesure dont je m’aime
moi-même. Pauvre mesure, car très souvent les gens ne s’aiment pas! Si je
m’aime peu, cela voudrait dire que le Seigneur me demanderait d’aimer peu mon
prochain. Mais on comprend très bien que ce n'est pas cela que Dieu veut nous dire; que ce n'est pas cela que Dieu veut. Si je dois mesurer l’amour que je dois aux autres d’après l’amour que
j’ai pour moi-même, cela veut dire que d’après Dieu, je dois m’aimer beaucoup.
Si je m’aime beaucoup, je pourrai aimer les autres beaucoup.
J’ai été très étonné de lire un
jour certaines phrases d’un des auteurs catholiques les plus lus et
appréciés : Peter van Breemen :
« Très peu de personnes s’apprécient et s’aiment vraiment. … Il
est rare, en fait, de rencontrer quelqu’un qui s’aime vraiment, au sens plénier
du terme, ou qui a appris à s’accepter lui-même tel qu’il est, sans amertume ni
dépit, mais avec une réelle bonté. » (Peter van Breemen, Homo creatus est, Cahiers de
spiritualité ignatienne).
Quand j’ai lu cela, j’ai failli
tomber en bas de ma chaise. J’ai été tellement étonné de lire ça. On m’avait
tellement éduqué à croire que tout le monde était égoïste, que tout le monde ne
pensait qu’à soi, que j’en étais venu à penser que les gens s’aimaient trop et
que cela était mal. J’avais fait les équations suivantes : Penser à soi = mal = s’aimer trop. Par
une mauvaise tournure d’esprit, j’en étais venu à penser que penser à soi était
mal; que s’aimer était mal.
Or tous les auteurs spirituels
aujourd’hui, nous demande et nous commande de nous aimer. Le mot d’ordre
maintenant, c’est : aime-toi. Regarde-toi avec bonté, avec bienveillance.
Arrête de te juger. Si tu passes ton temps à te juger, tu vas aussi passer le
temps à juger les autres.
Vous vous souvenez du temps où on
nous suggérait de faire un examen de conscience à chaque jour. Et quel était le
but de cela? De trouver les failles dans notre vie. De trouver ce qui n’allait
pas. Si je me concentre le soir, avant de me coucher, sur ce qui ne va pas dans
ma vie, ce ne peut être que déprimant.
Aujourd’hui, on ne parle plus
comme cela dans le monde catholique. On parle de faire à chaque jour un « examen spirituel du conscient » :
de faire un examen spirituel de ce qui s’est passé durant la journée. Cet
examen doit être « spirituel »,
c’est-à-dire, mû et éclairé par l’Esprit.
Je demande à l’Esprit Saint de me montrer comment Il a été à l’œuvre en moi
durant ma journée. Par conséquent, je demande à Dieu de me faire voir mes bons
coups, mes réussites. Et cela est beaucoup plus enthousiasmant. D’ailleurs le
mot « esprit » est tiré du
mot hébreu « rouah », qui
veut dire « souffle ».
L’Esprit veut nous donner du souffle, veut mettre du souffle dans notre vie. Il
ne veut pas nous écraser ou éteindre la mèche qui faiblit, comme le dit si bien
le prophète Isaïe (Is 42, 3).
Au Canada, il se passe souvent
ceci, durant le bulletin des nouvelles. En plein milieu du bulletin, on passe à
la « bonne nouvelle du jour ».
Des recherchistes font des pieds et des mains pour trouver une bonne nouvelle à
glisser parmi la tonne de mauvaises nouvelles qu’on nous présente à chaque
jour. Vous ne pouvez imaginer le baume et le souffle que produit cette bonne
nouvelle dans le cœur des téléspectateurs! Je rêve du jour où un millionnaire
fondera une station de télévision dédiée uniquement aux bonnes nouvelles. Je
rêve du jour où je dirai en regardant un bulletin de nouvelles constitué
uniquement de bonnes nouvelles : « Assez! Assez! Assez de bonnes nouvelles; je ne suis plus capable d’en
prendre! C’est trop beau ».
Voici, pour illustrer le propos
du présent blogue, un extrait d’un des textes les plus beaux que j’aie lus
durant ma vie. Il s’agit de paroles prononcées par l’abbé Jacques Leclercq,
prêtre français qui a exercé un ministère d’écoute et d’accueil durant de
nombreuses années en la cathédrale Notre-Dame de Paris :
« Soyez
gentils avec vous-mêmes, faites vous plaisir, faites des folies, des petites
folies, ne vous refusez pas des petits bonheurs simples au nom de je ne sais
quelle rigueur; c’est toujours idiot la rigueur. Soyez gentils avec vous-mêmes
et vous apprendrez l’infini douceur. Un homme, une femme, est toujours plus
beau, toujours plus belle que son examen de conscience. Soyez gentils avec
vous-mêmes pour être gentils avec les autres : c’est essentiel, c’est
tellement important. J’ai connu des drogués qui sont venus me voir, j’ai tout
vu dans cette cathédrale. Un jour, une jeune femme a posé son revolver sur la
table, entre nous, droguée à mort. Elle venait me voir depuis plusieurs mois
régulièrement. Elle était dans une filière de passage de drogue. Quelques fois
elle venait me voir avant de prendre l’avion; quelques fois elle rentrait de
Bangkok ou de Hong Kong, tout au bout du malheur, tout au bout de la solitude.
Je l’ai connue se « shootant » avec du ricard, avec du pernod, parce
qu’elle n’avait plus rien pour s’acheter de la drogue. Je sais tout ce qu’elle
a fait d’énorme; et je sais dans quelle prison elle était. Et puis un jour,
elle est arrivée là; elle a posé son revolver et m’a dit : « Je viens
te dire adieu ». Et là, toujours le radar, j’ai dit :
« Qu’est-ce que tu veux faire? Si tu te fous en l’air, tu feras la plus
belle connerie du monde, et tu seras la seule à ne pas le savoir. Si tu comptes
sur moi pour t’influencer, pour que tu me passes ton pétard, c’est raté. Ton
feu, tu repars avec. Maintenant, si tu veux me faire plaisir, en passant sur le
pont, en quittant Notre-Dame, tu le jettes par-dessus bord ». Je lui
parlais à elle, avec ses longueurs d’onde que je savais. Alors elle m’explique
que depuis quelques temps, pour trouver de l’argent, elle s’était prostituée à
Pigalle. Et elle m’a dit : « Je ne suis plus qu’une putain, tu
comprends? » Et je lui ai répondu : « Tu es vierge; pas un de
ceux qui sont passés sur toi, n’a eu qui tu es; et moi je sais qui tu
es. » Elle s’est mise à sangloter comme une petite fille; elle a repris
son revolver, a retiré le chargeur, l’a mis entre nous et m’a dit :
« Ça, c’est le cadeau; le souvenir. Merci! » Et elle est repartie.
Quinze jour plus tard, elle est revenue avec un beau sourire : « Je
t’apporte un beau cadeau : tu sais, j’ai commencé ma
désintoxication. » Vous comprenez bien que pour répondre, je n’avais ni
barème, ni grammaire, ni morale, ni référence. Rien que ce visage tendu vers
moi, et qui était le visage de Jésus. » (Jacques Leclercq, Propos
sur l’accueil, 17 juin 1992, propos recueillis par un magnétophone).
Quel beau texte plein de vie et d'espoir ... Et comme Dieu est vivant en chacun de nous... Aimons-le en nous aimant.
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