Quatrième parole :
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
(Mc 15, 34)
(Mc 15, 34)
Voici la parole la plus mystérieuse de Jésus en croix; la plus bouleversante aussi. Saint Marc est l’évangéliste qui nous présente la vision la plus noire de la passion du Christ. Or, saint Marc ne nous rapporte qu’une seule parole de Jésus sur la croix, la quatrième parole. Un indice qui montre l’importance de cette parole, est le fait qu’on l’ait conservée dans la langue même de Jésus, l’araméen. « À la neuvième heure, Jésus poussa un grand cri : « Élôï, Élôï, lema sabachthani », ce qui se traduit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (Mc 15, 34) Il existe deux interprétations de cette parole, deux interprétations en quelque sorte contradictoires.
La première interprétation est la suivante : Jésus n’a pas expérimenté un véritable abandon de la part de son Père. Lorsqu’Il prononce cette parole, il veut au contraire donner une preuve supplémentaire de sa divinité, « en accomplissant les Écritures ». Le soir de sa résurrection, Jésus apparut à ses disciples et leur dit : « Telles sont bien les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes. » (Lc 24, 44)
Le psaume 22 constitue une des plus belles prophéties du Messie et des souffrances qu’Il devait endurer. Ce psaume commence comme ceci : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » et il se termine par la victoire du persécuté. Selon la première interprétation de la quatrième parole de Jésus sur la croix, Jésus a cité la première phrase du psaume 22 pour signifier que malgré les apparences, c’était la victoire qui allait avoir le dernier mot.
Voici quelques versets du psaume 22 :
« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? Des chiens nombreux me cernent, une bande de vauriens m'entoure; ils ont percé mes mains et mes pieds. Je peux compter tous mes os, les gens me voient, ils me regardent; ils partagent entre eux mes habits et tirent au sort mon vêtement. Mais toi, Yahvé, ne sois pas loin, ô ma force, vite à mon aide; délivre de l’épée mon âme, de la patte du chien, mon unique; sauve-moi de la gueule du lion, de la corne du taureau, ma pauvre âme. J’annoncerai ton nom à mes frères, en pleine assemblée je te louerai. Vous qui craignez Yahvé, louez-le, toute la race de Jacob, glorifiez-le, redoutez-le, toute la race d’Israël. Car il n’a point méprisé, ni dédaigné la pauvreté de pauvre, ni caché de lui sa face, mais, invoqué par lui, il écouta. De toi vient ma louange dans la grande assemblée, j’accomplirai mes vœux devant ceux qui le craignent.
La deuxième interprétation de la quatrième parole de Jésus en croix est la suivante : Jésus a expérimenté un véritable abandon de son Père alors qu’il était sur la croix. Jésus sur la croix, s’est « senti abandonné » par son Père. C’est pourquoi il n’a pas prié à ce moment-là comme Il l’avait toujours fait, même au jardin des oliviers à la veille de sa mort, en employant le mot : Abba, Papa, Père. Jésus ici emploie un mot qui exprime ce qu’il vit; il emploie le mot « Éloïm », qui veut dire « Dieu ». Le Dieu auquel il s’adresse est le Dieu qui lui semble alors tellement distant et tellement étranger à sa souffrance.
Je dois avouer que pour ma part, je prévilégie cette seconde interprétation. Tant de gens sur cette pauvre terre se sentent ou se sont sentis abandonnés de Dieu, abandonnés par Dieu ! « Se sentir abandonné » ne veut pas dire « être abandonné ». Je pense que Jésus a tenu à faire cette expérience pour que tout être humain puisse être rejoint par Lui, compris par Lui, secouru par Lui. Nous savons que plusieurs saints et saintes ont vécu ce que nous appelons « la nuit de la foi », c’est-à-dire le sentiment que Dieu ne veille plus sur eux, que Dieu est absent de leur vie, que Dieu ne les aime plus. Parmi ces saints et saintes, nous retrouvons sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la croix, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face; et plus près de nous : Mère Teresa de Calcutta. Dans un livre publié très récemment (Viens, sois lumière, Les écrits intimes de « La sainte de Calcutta »), nous pouvons en apprendre davantage sur cette nuit de la foi qu’a vécue et expérimentée Mère Teresa durant cinquante ans. Dans une de ses lettres, Mère Teresa écrit :
« Il y a tant de contradiction dans mon âme, un profond désir de Dieu, si profond qu’il fait mal ; une souffrance permanente, et avec cela le sentiment de ne pas être voulue par Dieu, rejetée, vide, sans foi, sans amour, sans zèle… Le ciel n’a aucun sens pour moi : il m’apparaît comme un lieu vide ! ».
Et elle écrivit au Père Joseph Neuner, s.j., le 6 mars 1962 : « Si jamais je deviens sainte, je serai certainement une sainte des « ténèbres ». Je serai continuellement absente du Ciel pour allumer la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres sur terre. »
Si des êtres humains et de saintes personnes ont fait l’expérience d’être abandonnés de Dieu, comment ne pas penser et croire que le Fils de Dieu ait voulu connaître cette terrible souffrance par amour pour l’humanité ?
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