lundi 14 mai 2012

Felix culpa ! Heureuse faute !

Felix culpa !  Heureuse faute !


Il existe, dans la tradition de l’Église des petits chefs-d’œuvre de composition. Et au sein de ces compositions, il arrive que des mots nous sautent aux yeux, nous bouleversent et nous scandalisent, tout au moins à première vue. La raison en est, je pense, que les artistes ou les poètes ont souvent une imagination si grande et une intuition si profonde qu’ils arrivent presque à pénétrer les secrets de Dieu. Il existe une loi dans l’Église qui s’exprime ainsi : « Lex orandi, lex credendi » : littéralement, cela veut dire que la loi de la prière est la loi de la foi. Autrement dit, ce que des gens ont exprimé dans les prières de l’Église, dans les chants, les hymnes ou les oraisons de la messe, est devenu peu à peu dogme de foi, vérités à croire.
L’expression la plus téméraire, originale, et à première vue scandaleuse qui soit, se trouve, selon moi, dans le chant le plus solennel de l’année : l’Exultet. L’Exultet est le chant pascal par excellence, celui que toute l’Église chante pour annoncer la résurrection du Christ lors de la veillée pascale. Au beau milieu de ce chant, alors qu’il est question du premier péché des hommes, le péché d’Adam, retentissent les deux mots suivants : « Felix culpa »: « Heureuse faute ». Nous sommes en droit de nous demander qui a bien pu associer ces deux mots et surtout les mettre dans un chant aussi solennel que l’Exultet. Et comment l’Église a-t-elle pu accepter et cautionner une telle chose? La raison en est assez simple: au-delà d’une contradiction apparente et au-delà de nos scrupules intellectuels ou théologiques, ces deux mots expriment une vérité tellement profonde, qu’elle ne peut que nous bouleverser, nous éclairer et nous pacifier. Ces deux mots font partie de la phrase suivante de l’Exultet : « Ô heureuse faute qui nous valut un tel Rédempteur ! »
Le Père Raniero Cantalamessa (pour connaître qui est ce prêtre, veuillez lire l’article précédent sur mon blogue, article intitulé: «Pourquoi fallait-il que Jésus meure pour nous?») a une page merveilleuse sur ces deux mots: « Felix culpa ». Voici ce qu’il en dit :
« Quel esprit a pu concevoir le cri : Ô felix culpa »? Quelle autorité se cache derrière celui-ci? Non la simple autorité d’un obscur compositeur (l’Exultet  fut écrit, semble-t-il, en Gaule au cours du Vème siècle), mais l’autorité d’un docteur de l’Église. Cette théologie audacieuse s’inspire en effet, presque à la lettre, de saint Ambroise. Celui-ci, parlant de la faute d’Adam, s’était exclamé : « Heureuse ruine qui fut rebâtie plus solide! », et encore: « Ma faute est devenue pour moi le prix de la rédemption …  Plus profitable me fut la faute que l’innocence. » Mais à son tour, saint Ambroise s’appuie sur l’autorité encore plus grande de l’Écriture, qui assure que « là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé. » (Rom 5, 20). Certes, l’« Ô felix culpa ! » dit quelque chose de plus. C’est un cri d’espérance et d’optimisme qui ne trouve sa justification dans aucun texte de l’Écriture pris isolément, mais dans son ensemble, dans la conviction que la puissance de Dieu est telle qu’elle sait tirer le bien de tout, « même du mal » comme le disait saint Augustin.
La beauté extraordinaire de ce cri réside dans l’enthousiasme qu’il laisse transparaître pour la personne du Christ, « un tel Rédempteur »! À un univers sans faute et sans Christ, on préfère ouvertement un univers avec la faute, mais avec le Christ. (C’est moi, Guy Simard, qui ai mis ces mots en caractères gras, car c’est selon moi la phrase la plus belle de tout le texte que je cite présentement). Et qui pourrait donner tort à celui qui a osé affirmer ceci? Une célèbre mystique médiévale, reprenant cette ligne optimiste de l’Exultet , a écrit ces paroles qu’elle dit avoir entendues de Dieu lui-même: « Le péché est inévitable, mais tout sera bien et tout sera bien et toute sorte de chose sera bien. » (Julienne de Norwich, Révélations, ch. 27). (Raniero Cantalamessa, Le Mystère pascal, éditions Salvator, pp. 117-118)

Alors que le prédicateur pontifical, le Père Cantalamessa, ne semble avoir eu aucun scrupule à citer la phrase ci-dessus de Julienne de Norwich, j’ai hésité pour ma part à vous la partager. Je craignais que cette phrase soit presque perçue comme un certain encouragement à pécher. Mais je me suis ravisé car une telle crainte est tout à fait dans la ligne des émotions que les mots « felix culpa » sont susceptibles de faire surgir en nous.
Il y a deux ans, une bonne amie à moi a reçu une grâce assez extraordinaire en entendant chanter les mots « felix culpa » lors de la veillée pascale. Ces mots ont retenti à ses oreilles et ont fait vibrer son cœur tourmenté par des fautes passées. Ces mots si étonnants et pleins de vérité ont été la lumière qui a dissipé les ténèbres provoquées par les faux remords et les illusions perdues. Ces mots pleins de vérité nous mettent en face de la vérité de notre être : nous sommes tous des pécheurs aimés et appelés au pardon de nos fautes. Saint Jean ne dit-il pas dans sa lettre : « Si notre cœur venait à nous condamner, Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout. » (1 Jn 3, 20)



18 commentaires:

  1. Oh , merci pour cette belle et grande expression qui me bouleverse chaque fois que j'y songe ! Merci de nous la rendre accessible.

    RépondreSupprimer
  2. Bienvenue chère Suzanne! Je n'en reviens pas qu'un de mes textes écrit il y a presque huit ans, produise encore du fruit chez une personne. Comme l'a écrit ma sainte préférée, sainte Thérèse de l'Enfant Jésus et de la Sainte Face, au début de ses manuscrits autobiographiques: " Misericordias Domini, in aeternum cantabo " ("Je chanterai éternellement les Miséricordes de Dieu"). Cette phrase est tirée du psaume 88, verset 2.

    RépondreSupprimer
  3. Bonjour, dans un moment difficile de ma vie j'ai entendu cette phrase dans l'Exultet. Ça faisait tellement échos dans mon histoire qu'elle me revient souvent. Actuellement, je suis un cours et je cherchais un document pour illustrer mon propos. C'est votre article qui est le plus adapté. Merci encore !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chère Suzanne, merci beaucoup pour ce témoignage. Je t'offre mon dernier blogue, qui pourra préparer ton coeur à la Semaine Sainte qui approche. Ce blogue s'intitule: "Être configuré au Christ". Pour le lire, aller sur http://dieumajoie.blogspot.ca/

      Supprimer
  4. Merci pour ce lien et pour vos commentaires sur les disciples d'Émaus ( mon passage biblique préféré )

    RépondreSupprimer
  5. Merci père Simard, pour la lumière que j'ai reçu ce soir sur cette parole de résurrection : heureuse faute.... car elle m'a permis de donner un grand pardon. Et j 'ai pu dire:"Heureuse haine qui me révèle l'amour infini du Père pour moi en Jésus.Heureuse blessure qui me révèle la blessure du cœur de Jésus mon Sauveur." Merci infiniment pour votre blog car Dieu a agi. Je me sens libérée du poids de la FATALITÉ du péché et du joug de ce mensonge; j’appréhende un peu plus ce que signifie "être sauvée." Le Seigneur donne fécondité votre apostolat. Merci, père! Elisa

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Chère Elisa, votre message, lu le jour où l'Église fête ma sainte préférée (le premier octobre est la fête de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus) me touche beaucoup. Il est très rare que je sois mis au courant des merveilles extraordinaires que peuvent produire mes écrits. Je remercie Dieu le Père de la grâce qu'Il vous a si gentiment accordée et je le remercie aussi d'avoir bien voulu se servir de moi pour vous manifester son Amour et sa Tendresse. Bien fraternellement, Guy omv

      Supprimer
  6. Père Simard,

    Merci pour cette partage qui me touche profondément, après d'avoir vu ce mot "felix culpa" d'un ami ancien séminariste. Merci Seigneur d'avoir nous donner votre prêtre. Amen !

    RépondreSupprimer
  7. Bonjour à vous! Je me réjouis du fait que ce blogue vous ait fait du bien. Oui, ces deux petits mots "felix culpa" disent beaucoup sur le mystère chrétien. Nous sommes dans une situation plus grande et plus privilégiée que nos premiers parents que la Bible appelle Adam et Ève et qui avaient été créés dans un état de justice originelle.

    RépondreSupprimer
  8. Je Viens De Comprendre L'explication De La Phrase" Heureuse Faute" La Première Fois Dans Ma Vie Après L'Avoir Cherchée Sur L' Internet À Travers Votre Publication, Suite Aux Informations De Mon Professeur De Cours.Certes,Le Péché Qui Voulait Emporter L'Humanité Dans La Ténèbre Avait Été Vaincu Par Notre Sauveur, Fils De Dieu. Je Vous Prie De M'envoyer En Intégralité L'Exultet En Français Sur Mon Adresse: niyongaboepipode01@gmail.com.

    RépondreSupprimer
  9. Vous trouverez ce que vous cherchez sur le site suivant: http://catho.org/9.php?d=cli

    RépondreSupprimer
  10. Non Non. . « Heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur ». Heureuse certainement car voulue par Dieu ! Un bon " coup de pied au cul " au primates. Adam. et Eve . En. avant , en marche , au travail . Dieu nous fait co créateur ! Saint Paul est formel : à nous de participer à l acte créateur ! En avant , debout , en marche et au boulot ! Merci Adam et. Eve .

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On ne peut pas dire que la faute d'Adam et Ève a été voulue par Dieu. Dieu ne veut pas le péché. Mais comme il est Tout Puissant, il peut se servir du péché pour faire une création encore meilleure. C'est ce qu'il a fait avec la faute des premiers humains. La condition de l'être humain depuis la venue du Fils de Dieu sur terre, est incommensurablement meilleure que celle de nos premiers parents. Dans l'évangile d'aujourd'hui, en ce troisième dimanche de l'Avent, Jésus dit : "Amen, je vous le dis :Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui."

      Supprimer
  11. Merci père Simard, ce soir encore vous avez par cette phrase par vous reprise et expliquée, laissée accessible sur internet comme une bouée de sauvetage pour ceux perdus et en recherches de points d’appuis spirituels leurs permettant de continuer à espérer en l’amour et la miséricorde infinie de Dieu et de son Christ , et ce malgré leurs fautes milles fois répétées. Que l’Esprit Saint imprime cette phrase dans le cœur de tous nos frères et sœurs.

    RépondreSupprimer
  12. Cher Philippe,merci pour ce message. Je suis très heureux de pouvoir semer de l’espérance dans les cœurs. Que Dieu vous bénisse !

    RépondreSupprimer
  13. Philippe, c'est moi qui ai écrit le précédent message. Je ne désirais pas être "anonyme" ; il semble bien que mon iPad ne fonctionne pas comme mon ordi. De mon ordinateur, dès que je réponds, on voit immédiatement que la réponse vient de moi. Comme tu peux le deviner, je t'écris en ce moment de mon ordi.

    RépondreSupprimer
  14. Quelle heureuse trouvaille ! Je suis à l'écriture d'un livre sur "La prédestination et le libre arbitre" (en fait, le premier d'une série d'e-books), et je cherchais un texte, une idée, pour accompagner l'une des nombreuses illustrations. Si vous me le permettez, j'aimerais citer quelques mots du père Cantalamessa. Ce sera un plaisir de continuer à recevoir vos publications. Que Dieu vous bénisse, père Guy.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cher Jean-Pierre, quant à moi vous pouvez vous servir de tout ce qui figure sur mes blogues sans me demander la permission.

      Supprimer