Fête du Sacré-Cœur
Hier, le 7 juin 2013, l’Église entière fêtait le Sacré-Cœur de Jésus. En cette Solennité du Sacré-Cœur, j’ai eu l’immense privilège de présider la messe solennelle au Sanctuaire de la Réparation au Sacré-Cœur qui se trouve tout près de chez moi, à Montréal, à l’extrême est de la ville. Au moment de l’homélie, j’ai partagé quelques unes des réflexions suivantes.
La dévotion au Sacré-Cœur est la dévotion par excellence. Nous avons tous et toutes, je pense, « nos dévotions ». Il y a des saints qui nous attirent plus que d’autres. Mais la dévotion qui dépasse toutes les autres est la dévotion au Cœur de Jésus. Pourquoi ? Parce qu'en Jésus, "habite la plénitude de la divinité" (Col 2, 9), comme nous le dit si bien saint Paul. Toutes les grâces viennent de Dieu. Si je prie la Sainte Vierge , c’est pour qu’elle m’obtienne des grâces de Dieu. Mais quand je prie le Sacré-Cœur, je prie Dieu en sa source.
Le fondement biblique de la dévotion au Sacré-Cœur : L’origine de la dévotion au Sacré-Cœur se trouve dans l’évangile de saint Jean. Il est normal que ce soit saint Jean, le disciple bien aimé, qui soit à l’origine de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. Saint Jean n’est-il pas l’auteur biblique qui nous dit le plus clairement que « Dieu est Amour »? N'est-il pas aussi l'apôtre qui a posé sa tête sur la poitrine de Jésus, lors de la dernière Cène? Je suis d’accord avec certains papes qui disent qu’à cette occasion, le disciple bien-aimé a dû entendre le cœur de Jésus qui battait spécialement d’amour au moment où Il allait livrer son corps et son sang en nourriture. Le fondement biblique de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus se trouve au chapitre 19 de saint Jean, verset 34, alors que le disciple bien-aimé nous relate l’épisode de la transfixion du côté de Jésus sur la croix. Saint Jean nous dit qu’un soldat, pour s’assurer que Jésus était mort, lui perça le côté au moyen de sa lance, et qu’il en sortit du sang et de l’eau :
« Quand il eut pris du vinaigre, Jésus dit : « C’est achevé » et, inclinant la tête, il remit l’esprit. Comme c’était la Préparation, les Juifs, pour éviter que les corps restent sur la croix durant le sabbat – car ce sabbat était un grand jour –, demandèrent à Pilate qu’on leur brisât les jambes et qu’on les enlevât. Les soldats vinrent donc et brisèrent les jambes du premier, puis de l’autre qui avait été crucifié avec lui. Venus à Jésus, quand ils virent qu’il était mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage - son témoignage est véritable, et celui-là sait qu’il dit vrai - pour que vous aussi vous croyiez. Cela arriva afin que l’Écriture fût accomplie : « Pas un os ne lui sera brisé » Et une autre Écriture dit encore : Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé. » (Jn 19, 30-37)
Certains auteurs et exégètes considèrent ce passage comme étant le sommet de l’évangile de Jean. Pour montrer l’importance de ce passage, on note que Jean cite deux fois les Écritures; il cite deux prophéties de l’Ancien Testament. Saint Jean, contrairement à saint Mathieu, cite rarement l’ancien Testament; il ne le fait que dans des moments très solennels. Or, ici, pour le fait historique de la transfixion du côté de Jésus, il le fait à deux reprises. De plus, une fois qu’il a raconté le fait, il en remet en quelque sorte, pour dire qu’il a très bien vu ce qui s’était passé et que Jésus sait qu’il dit vrai. Saint Jean ne pouvait pas nous montrer davantage à quel point cet épisode était important pour lui.
Or l’Église, pas son Magistère autorisé, nous dit comment interpréter ce fait : non seulement le côté de Jésus a été percé et ouvert, mais aussi son cœur. De nombreux papes, ont insisté sur ce point. Le cœur de Jésus, sur la croix, a été ouvert par la lance du centurion romain, pour que nous entrions plus avant dans l’amour de Dieu. Il n’y a rien d'étonnant à savoir que le cœur de Jésus ait été transpercé, car nous n’avons qu’à jeter un coup d’œil sur le « pilum » (la lance) du soldat romain, cette arme redoutable. De plus, le centurion était au pied de la croix. On peut imaginer la violence avec laquelle la lance est entrée dans le côté de Jésus. Heureusement que Jésus était mort! Nous savons que la plaie de Jésus au côté était très large et profonde par un autre épisode des évangiles : l’apparition de Jésus ressuscité à Thomas. Jésus invite Thomas à mettre ses doigts dans la marque des clous et à mettre sa main dans son côté.
J’ai appris ces jours-ci le nom que la tradition de l’Église donne au centurion romain qui a posé ce geste. Il s’appelait Longinus; Longin en français. On le considère même comme un saint. Il est vrai qu’il a fait une très belle confession de foi au pied de la croix : « Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu » (Mc 15, 39) . J’ai été ordonné prêtre à Rome, dans la basilique Saint Pierre de Rome, par le pape Jean-Paul II. Nous étions 71 à être ordonnés par le pape. Quand j’étais à genoux sur le parvis de Saint-Pierre de Rome, au pied de l’autel, savez-vous ce que j’avais juste derrière moi? Une énorme statue de saint Longin : une statue de 4 mètres 40 cm de haut. Et cette statue n’a pas été faite par n’importe qui; elle a été sculptée par le Bernin lui-même (Le Bernin est l'artiste qui a fait le fameux baldaquin de la basilique Saint-Pierre de Rome, qui recouvre l’autel et qui est constitué d’immenses colonnes en spirale, et qui a fait la sculpture de la chaire de Pierre, qui se trouve derrière l’autel, sur le mur du fond, avec la colombe représentant l’Esprit-Saint, mise en évidence dans une forme ovale remplie de lumière dorée). Allez voir cette statue sur internet. J’ai appris ces détails seulement ces jours-ci, alors que je faisais des recherches sur le Sacré-Coeur. La statue représente saint Longin la lance à la main et dans une attitude d’une grande fierté, comme s’il se disait : « C’est moi qui ai ouvert le cœur de notre Maître ».
Le fondement biblique de la dévotion au Sacré Cœur de Jésus, nous montre une fois de plus, que la foi catholique repose sur deux sources : les Saintes Écritures et la Tradition de l’Église. Comme catholiques, nous croyons que seul le Magistère autorisé de l’Église, peut nous permettre de comprendre certains passages des divines Écritures.
Plaie contre plaie : De toute éternité, Dieu a voulu que le cœur de Jésus soit ouvert sur la croix. La plaie du côté de Jésus est très importante pour notre vie spirituelle. Pourquoi Dieu le Père a-t-il voulu cette faille dans le corps de Jésus? C’est pour que nous recevions de sa plénitude; pour que nous recevions la grâce qu’Il possède en plénitude. « En lui habite corporellement, toute la plénitude de la divinité » (Col 2, 9) Et, « de sa plénitude, nous avons tous reçus » (Jn 1, 16).
Je viens souvent ici au Sanctuaire de la Réparation. Mon confesseur est ici. Je viens souvent y recevoir le sacrement de la réconciliation. Un jour, je suis venu pendant une eucharistie et c’était le Père Manuel qui présidait. J’ai écouté son homélie et c’est de sa bouche que j’ai entendu pour la première fois l’histoire suivante :
« En Chine, un porteur d’eau possédait deux grosses cruches, chacune d’elle pendante aux extrémités d’une solide perche qu’il portait sur ses épaules. L’une des cruches était fêlée, tandis que l’autre était parfaite et livrait toujours une pleine portion d’eau.
À la fin de la longue marche du ruisseau à la maison, la cruche fêlée arrivait toujours à moitié pleine. Tout se passa ainsi, jour après jour, pendant deux années entières où le porteur livrait seulement une cruche et demi d’eau à sa maison. Évidemment, la cruche qui était sans faille se montrait très fière de son travail parfaitement accompli. Mais la pauvre cruche fêlée était honteuse de son imperfection, et misérable du fait qu’elle ne pouvait accomplir que la moitié de ce qu’elle était supposée produire.
Après ces deux années de ce qu’elle percevait comme étant une faillite totale de sa part, un jour, près du ruisseau, elle s’adressa au porteur d’eau : « J’ai honte de moi-même, à cause de cette fêlure à mon côté qui laisse fuir l’eau tout au long du parcours lors de notre retour à votre demeure. » Le porteur d’adressa à la cruche : « As-tu remarqué qu’il y avait des fleurs seulement de ton côté du sentier, et qu’il n’y en avait aucune du côté de l’autre cruche? C’est que j’ai toujours été conscient de ta fêlure, et j’ai répandu des semences de fleurs seulement de ton côté du sentier. À chaque jour, tu les as arrosées. Durant ces deux années, j’ai pu cueillir ces jolies fleurs pour décorer notre table. Si tu n’avais pas été comme tu es, nous n’aurions jamais eu cette beauté qui a égayée notre maison. »
Cette petite histoire est très intéressante et très révélatrice. Nos fêlures sont notre chance. Étant des êtres imparfaits, c’est par nos fêlures que Dieu peut entrer. La plaie de Jésus révèle sa plénitude. Le plein de sa divinité peut se déverser en nous grâce à la faille de son côté et de son Coeur. Nos failles à nous, ne révèlent pas notre plénitude, mais nos manques. Mais par ces failles, nos manques peuvent être remplis par Dieu, peuvent être comblés par Dieu. Cela me fait penser à une autre image : ces avions qui font le plein d’essence dans les airs. Comme vous le savez, il arrive que certains avions fassent le plein d’essence en plein vol : un avion rempli d’essence, vient se brancher, se coller sur un autre avion qui est pratiquement vide en carburant, pour le remplir. Je sais que cette comparaison est boiteuse car Dieu, Lui, ne perd rien de sa plénitude en nous la donnant. Il y a une chanson de Charles Aznavour, intitulée « Les Plaisirs démodés », qui dit ceci : « Dansons, joue contre joue ». En cette solennité du Sacré Cœur, je paraphraserais ces mots en disant : « Marchons avec Dieu, plaie contre plaie. »
Redécouvrons la beauté et la valeur de la réparation : Le lieu dans lequel nous sommes réunis ce soir, se nomme le Sanctuaire de la Réparation. Je sais qu’en 2013, certaines personne considèrent que cette façon de nommer le Sanctuaire, est quelque peu démodée. Certaines gens considèrent cette appellation comme étant un peu « vieux jeu ». C’est vrai que le mot réparation ne résonne pas de façon joyeuse à nos oreilles et à notre esprit. La réparation suppose quelque chose de négatif. Si notre automobile a besoin de réparation, c’est que quelque chose ne va pas. Réparer quelque chose, n’est jamais bien drôle. Mais selon moi, la réparation que nous sommes invités à faire au Sacré-Cœur de Jésus, est quelque chose de merveilleux et d’indispensable. Il ne faudrait surtout pas, selon moi, éliminer la « réparation au Sacré-Cœur », de notre vie et de notre vocabulaire. Le pape Pie XI a d’ailleurs écrit une encyclique en 1928 (Miserentissimus Redemptor), où il parle abondamment de la réparation que l’on devrait faire au Sacré-Cœur pour toutes les offenses que nous Lui infligeons.
Lorsque j’étais à Rome, sur le point de devenir prêtre, j’ai fait une retraite avec le Père Giorgio Bettan, jésuite. Ce Père jésuite a grandement contribué à me faire aimer le Sacré-Cœur de Jésus. Cela n’est pas étonnant car Jésus lui-même a donné comme mission spécifique aux Jésuites, de faire connaître et aimer la dévotion à son Cœur Sacré. Jésus a confié cette mission à saint Claude de la Colombière, jésuite. Ce saint était le confesseur de sainte Marguerite-Marie Alacoque, à laquelle Jésus est apparue, au dix-septième siècle. Pour nous faire comprendre un peu en quoi consiste la réparation au Sacré-Cœur, le Père Bettan a inventé cette petite histoire : supposons une famille constituée d’une mère et de ses deux fils. Les trois sont à table, pour le dîner. Soudain, le plus jeune des garçons fait une violente colère envers sa mère, prend le bol de soupe qui est devant lui, le lance au visage de sa bonne maman, et sort de la cuisine. Pendant que la pauvre maman a le visage plein de liquide chaud, le plus âgé des garçons demeure impassible à sa place et continue de manger sa soupe, comme si de rien n’était. Que pensera la mère? Nous pouvons être presque assurés qu’elle excusera facilement son plus jeune fils. Elle se dira : je ne sais pas ce qui lui a pris; il doit vivre des choses difficiles. Mais cette pauvre maman ne pourra pas s’expliquer le comportement de son fils plus âgé. Comment se fait-il qu’il soit demeuré impassible devant un tel geste? Comment se fait-il qu’il ne se soit pas levé pour essuyer le visage de sa mère et la consoler? Je pense que vous me voyez venir; comment pouvons-nous demeurer impassibles devant toutes les offenses et les injures que nous infligeons si souvent à Jésus, et devant toutes les offenses que Lui infligent les êtres humains? À Sainte Marguerite-Marie Alacoque, Jésus a dit clairement à quel point cette indifférence des enfants de Dieu à son égard, le faisait souffrir :
« Voici ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consumer pour leur témoigner son amour. Et pour reconnaissance, je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu’ils ont pour moi dans ce sacrement d’amour. … Si tu savais combien je suis altéré de me faire aimer des hommes, tu n’épargnerais rien pour cela. J’ai soif, je brûle du désir d’être aimé. »
La réparation est un geste d’amour; la réparation est le fait de quelqu’un qui expérimente avec une immense gratitude le fait d’être aimé de Dieu. Le plus bel exemple de réparation se trouve, selon moi, dans l’évangile de Luc. Zachée le publicain, haï de ses compatriotes juifs à cause de sa profession, expérimente un jour l’amour immense, gratuit et inconditionnel que Jésus a pour lui. Dans sa joie et sa gratitude, il organise un repas festif en l’honneur de Jésus et lui fait cette confidence et cette promesse : « Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai extorqué quelque chose à quelqu’un, je lui rendrai le quadruple. » (Lc 19, 8) Voilà de l’amour! Voilà de la gratitude! Voilà de la réparation!
Il y a quatre ans environ, notre pape actuel, notre cher pape François, alors qu’il était archevêque de Buenos Aires, a donné une interview à un journaliste argentin. Cette interview est devenue un livre intitulé : « Je crois en l’homme », publié aux Éditions Flammarion. Dans la deuxième partie du livre, le cardinal Bergoglio parle à plusieurs reprises de la réparation, de la nécessité de réparer le mal que nous commettons. Voici un extrait de ce livre :
« Il faut bénir le passé par le repentir, le pardon et la réparation. Il faut associer le pardon aux deux autres attitudes. Si l’on m’a fait quelque mal, je dois pardonner, mais le pardon ne touchera autrui que s’il se repent et répare sa faute. … À travers l’histoire des saints, dans les grands entretiens, apparaît cette célèbre expression « pleurer les péchés », pour traduire une attitude très chrétienne: pleurer pour le mal commis, qui implique le repentir et le désir de réparation. » (Le pape François, Je crois en l’homme, Paris, Flammarion, 2013, pp. 158-159) Je considère pour ma part que ces paroles prononcées par un futur pape, sont très importantes et devraient grandement contribuer à redonner à la réparation ses titres de noblesse.
Chers amis, si un jour, je vous rencontre dans la rue, ne soyez pas surpris si je vous pose la question suivante : « Vous êtes-vous rendus à la Réparation? » Vous devrez alors comprendre que je ne parle pas d’un lieu physique, que je ne parle pas du Sanctuaire de la Réparation, mais bel et bien d’une merveilleuse attitude spirituelle. Vous comprendrez que je vous demande : « Êtes-vous parvenus à un degré suffisant d’amour envers Jésus, qui fait en sorte que vous désirez réparer le mal que vous Lui infligez et que tant de gens Lui infligent? ».
Amen !
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