lundi 22 août 2011

Sens ou non-sens

Sens ou non-sens:
L’être humain a le choix : il peut vivre son existence sous le signe du sens ou du non- sens. Il peut choisir d’être athée ou croyant. Quelle décision lourde de « sens »! Quelle responsabilité pour lui-même et pour les personnes qu’il rencontrera et que, forcément, il influencera! Je me souviens des propos qu’avait tenus à la radio M. Pierre Bourgault, un des athées les plus connus de la nation québécoise. Alors qu’on l’interviewait, M. Bourgault a clairement dit que pour lui, les événements de notre vie n’avaient aucun sens et qu’il était inutile et oiseux de vouloir trouver un sens à l’univers, à l’être humain et à ses actions. Voilà la position existentielle qu’il avait un jour librement choisie. Saint Jean, pour sa part, commence ainsi son évangile: « Au commencement était le sens. » (Jn 1,1) Je sais très bien que ce n’est pas la traduction que l’on fait normalement du premier verset de l’évangile de Jean, mais c’est la traduction qui me parle le plus en ce moment, alors que j’écris ces quelques lignes. Saint Jean a écrit son évangile en grec. Il a écrit: « Au commencement était le « logos ». Or, le mot « logos » signifie d’abord « raison ou sens » et ensuite « parole ». Les Bibles traduisent le premier verset du quatrième évangile de la façon suivante: « Au commencement était le Verbe (la Parole) »; ce faisant, les traducteurs optent pour la deuxième signification du mot « logos ».
Nous sommes ici au cœur de la conception chrétienne du monde. Nous croyons, comme chrétiens, que Dieu a créé un monde sensé, un monde qui a du sens. Nous croyons même que tout ce qui existe a un sens et que tout ce qui nous arrive a un sens et que ce sens se trouve en Dieu. Tant que nous ne jouirons pas de la vision pleine de Dieu (de la « vision béatifique »), nous ne comprendrons pas que tout a un sens; mais nous pouvons et devons déjà croire que c’est le cas. Dans l’homélie que le pape Benoît XVI a prononcée cette année (2011) lors de la veillée pascale, il a dit ceci :
"Dans les premières paroles de son Évangile, saint Jean a résumé la signification essentielle de ce récit en cette unique phrase: «Au commencement était le Verbe». Le monde est un produit de la Parole, du Logos, comme l’exprime Jean avec un terme central de la langue grecque. «Logos» signifie «raison», «sens», «parole». Il ne signifie pas seulement «raison», mais Raison créatrice qui parle et qui se communique elle-même. C’est une Raison qui est sens et qui crée elle-même du sens. Le récit de la création nous dit, donc, que le monde est un produit de la Raison créatrice. Et ainsi il nous dit qu’à l’origine de toutes choses il n’y avait pas ce qui est sans raison, sans liberté, mais que le principe de toutes choses est la Raison créatrice, est l’amour, est la liberté. Ici nous nous trouvons face à l’alternative ultime qui est en jeu dans le débat entre foi et incrédulité: l’irrationalité, l'absence de liberté et le hasard sont-ils le principe de tout, ou bien la raison, la liberté, l’amour sont-ils le principe de l’être? Le primat revient-il à l’irrationalité ou à la raison? C’est là la question en dernière analyse. Comme croyants nous répondons par le récit de la création et avec Saint Jean: à l’origine, il y a la raison. A l’origine il y a la liberté. C’est pourquoi être une personne humaine est une bonne chose. Il n’est pas exact que dans l’univers en expansion, à la fin, dans un petit coin quelconque du cosmos se forma aussi, par hasard, une certaine espèce d’être vivant, capable de raisonner et de tenter de trouver dans la création une raison ou de l’avoir en elle. Si l’homme était seulement un tel produit accidentel de l’évolution en quelque lieu à la marge de l’univers, alors sa vie serait privée de sens ou même un trouble de la nature. Non, au contraire: la raison est au commencement, la Raison créatrice, divine. Et puisqu’elle est Raison, elle a créé aussi la liberté; et puisqu’on peut faire de la liberté un usage indu, il existe aussi ce qui est contraire à la création. C’est pourquoi une épaisse ligne obscure s’étend, pour ainsi dire, à travers la structure de l’univers et à travers la nature de l’homme. Mais malgré cette contradiction, la création comme telle demeure bonne, la vie demeure bonne, parce qu’à l’origine il y a la Raison bonne, l’amour créateur de Dieu. C’est pourquoi le monde peut être sauvé. C’est pour cela que nous pouvons et nous devons nous mettre du côté de la raison, de la liberté et de l’amour – du côté de Dieu qui nous aime tellement qu’il a souffert pour nous, afin que de sa mort puisse surgir une vie nouvelle, définitive, guérie. " (Benoît XVI, Veillée Pascale, 23 avril 2011)
Voilà, très bien exprimé, l’enjeu de la vie humaine. Je suis, pour ma part, toujours impressionné par la description qu’Eric-Emmanuel Schmitt (l’auteur francophone le plus lu dans la francophonie) fait de son passage de l’athéisme à la croyance. Voici comment il raconta un jour sa conversion à un journaliste du journal La Croix:
« J’étais parti dans le Hoggar avec des amis. Nous avions gravi le mont Tahar, le plus haut sommet, et j’ai voulu redescendre le premier. J’ai vite compris que je ne prenais pas le bon chemin, mais j’ai poursuivi, irrésistiblement séduit par l’idée de me perdre. Quand la nuit et le froid sont tombés, comme je n’avais rien, je me suis enterré dans le sable. Alors que j’aurais dû avoir peur, cette nuit de solitude sous la voûte étoilée a été extraordinaire. J’ai éprouvé le sentiment de l’Absolu et, avec la certitude qu’un Ordre, une intelligence, veille sur nous, et que, dans cet ordre, j’ai été créé, voulu. Et puis la même phrase occupait mes pensées: Tout est justifié. »
La nuit nuit du 4 février 1989, la vie d’Eric-Emmanuel Schmitt a complètement basculé. Il était entré athée dans le désert et il en est sorti croyant. Cette nuit-là, il a compris que « tout a un sens ». L’expression « tout est justifié » est synonyme de « tout a un sens ».  Une fois devenu croyant, Eric Emmanuel Schmitt a cherché à savoir qui était ce Dieu auquel il croyait désormais. Il a étudié toutes les religions. Une nuit (une autre nuit), il a lu les quatre évangiles en entier et il s’est exclamé: « Voilà la vérité; voilà ce qui est vrai. » La nuit où il est devenu croyant et la nuit où il est devenu chrétien nous sont racontées dans la préface de sa pièce de théâtre intitulée : Mes Évangiles.
Lorsqu’on lit des expériences telles que celle qu’a vécue Eric-Emmanuel Schmitt on se demande spontanément: « Pourquoi lui ; pourquoi pas moi ou un autre ? Pourquoi cette expérience lui est-elle arrivée à lui? » Nous avons presque le sentiment que Dieu est injuste puisqu’il semble privilégier certains de ses enfants, au détriment de d’autres ou même à l’exclusion de d’autres. Pour ma part, je résous cette question par ces mots écrits par le cardinal Albert Vanhoye: « Lorsque Dieu concède une grâce spéciale, elle n’est jamais exclusivement destinée à la personne mais lui est donnée à l’avantage de tous. » (Les lectures bibliques des dimanches, Année A, p. 276)



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