Le ciel et l’enfer: Laurin et Bourgault
Camille Laurin Pierre Bourgault
« Il n'y a personne qui soit née sous une mauvaise étoile, il n'y a que des gens qui ne savent pas lire le ciel » (Dalaï Lama)
Chers amis, le mois de novembre est le moment propice pour réfléchir sur les « fins dernières » (ciel, purgatoire, enfer). Pour ce faire, rien de mieux que de méditer sur les écrits de personnes qui étaient sur le point de mourir. Voici le témoignage de deux hommes politiques québécois très connus, ayant œuvré sur la scène québécoise à la fin du siècle dernier: le Dr Camille Laurin et monsieur Pierre Bourgault.
Camille Laurin
Derniers moments de Camille Laurin sur terre:
C'est un beau témoignage de foi que rend le Dr Laurin - psychiatre, homme politique, "père de la loi 101" - au moment de son départ de ce monde. Des paroles de tendresse, de sagesse et d'espoir ...
"Francine chérie,
Depuis ce coup de tonnerre du mois d'octobre, qui m'annonce, à plus ou moins brève échéance, la fin de mon pèlerinage terrestre, mes pensées ont pris un tour plus amoureux et plus éternel.
Jésus (Dieu qui sauve) a toujours été présent en moi, bien que caché sous le voile de la foi. J'ai toujours aspiré ardemment à comprendre ses mystères joyeux, douloureux et glorieux. Mais malgré leur soif d'absolu et d'infini, les fils d'Adam ne peuvent y arriver. Alors que maintenant j'ai la joie de penser que je serai bientôt en contact direct avec le Père, le Fils et l'Esprit et qu'au-delà de la foi, j'aurai la réponse à mes questions et baignerai dans la joie éternelle de la lumière, de la vérité et de l'Amour.
En attendant, devant notre crucifix, que j'ai sans cesse devant les yeux, je remercie sans cesse Jésus et son Père pour la création du monde, la création de l'homme et de la femme, l'amour infini qui a présidé à l'Incarnation qui a fait de Jésus notre Frère humain et de tous les humains les fils et les filles de Dieu.
Je remercie aussi Jésus pour ma naissance, mon baptême, mes parents, ma famille, ma Francine chérie et pour toutes les grâces qu'Il n'a cessé de me dispenser.
Je le remercie pour son enseignement qui m'a guidé, protégé et orienté vers l'amour de Dieu et de tous les humains, particulièrement les malades, les malheureux et ceux et celles qui ont soif de justice.
Je le remercie tout spécialement pour son Eucharistie, qui lui permet d'être toujours présent en nous, de nous dire qu'il nous aime plus que nous l'aimons, de nous prêter sa force, son soutien et sa lumière.
Comment ne pas remercier enfin pour la Rédemption, qui l'a amené à souffrir pour nous le martyre de la flagellation et du couronnement d'épines, porter sa Croix, subir la Crucifixion et donner sa vie pour nous laver de tous nos péchés (Agnus Dei), ressusciter d'entre les morts, pour nous ouvrir les portes du Royaume éternel où tout est joie et plénitude de l'Amour.
C'est bien pourquoi, en cette heure douloureuse, je m'unis à Lui sur la Croix, pour bien marquer toutes mes souffrances, mes peines, mes soucis, mes peurs, mes pensées et mes actes. C'est bien peu à côté de ce qu'Il a souffert. Mais je veux ainsi participer à la Rédemption, ma rédemption et celle de tous ceux que j'aime, la rédemption de tous les humains et particulièrement celle de tous ceux qui n'ont pas voulu ou ne veulent pas reconnaître Son amour. Comme disait saint Paul, je veux ainsi compléter en ma chair ce qui manque à la Passion du Christ. Cette participation contribue également à me purifier et à ouvrir mon âme plus grande à la Joie et à l'Amour.
Ce coup de tonnerre m'a aussi rapproché et me rapproche chaque jour un peu plus de toi. J'ai douloureusement ressenti le bouleversement cataclysmique qu'il a provoqué chez toi, la coupure radicale qu'il a amenée dans ton existence, le trouble, l'obscurité et même la perte temporaire de sens qui en ont résulté. J'y ai vu une preuve absolue d'unité, de notre amour profond, mais cela ne m'a pas empêché de partager à chaque minute ton désarroi. Terrible épreuve que celle-ci!
Mais ton amour est en train de reprendre lentement le dessus. Cet amour, je le ressens intensément tous les jours par mille signes : la douceur et la tendresse de ta voix, tes attentions toujours délicates, le soin infini et constant que tu prends de moi, les petits plaisirs que tu t'ingénies à me procurer, ton support, tes encouragements, des projets communs, etc. Notre amour vit, rayonne plus que jamais et rien ne saurait davantage me combler.
L'amour est éternel. Les formes, les circonstances, les modes peuvent varier. Mais comptent d'abord et seulement les liens qui unissent les âmes. Les nôtres sont solides, pleins de paix et de bonheur, et ils dureront à jamais! " (1)
Pierre Bourgault
Derniers moments de Pierre Bourgault sur terre:
Le texte ci-dessous a été écrit par monsieur Pierre Bourgault quelque temps avant sa mort et publié par le Journal de Montréal, le dimanche 22 juin 2003. Monsieur Bourgault est décédé le 16 juin 2003. Le texte que vous allez lire a donc été publié après sa mort. Pierre Bourgault a été admis à l'Hôtel-Dieu du CHUM, le 8 juin 2003. Si on se fie aux premiers mots de la "Note du Journal " que vous lirez dans un instant, on peut conclure que le texte ci-dessous a été écrit lors des premiers jours du mois de juin 2003.
Les adieux à Pierre Bourgault
Note du Journal:
Les jours précédant son admission à l'hôpital ont été, pour Pierre Bourgault, un véritable calvaire.
Seul chez lui, dans son grand appartement de l'avenue du Mont-Royal, le jardinier qu'il était a tenu mordicus à planter ses arbres, ses fleurs et ses nénuphars sur la petite terrasse derrière chez lui, avant de s'adresser à un médecin.
Comme il avait l'habitude de le faire en période de souffrance, il a couché sur papier ses impressions devant la mort qui le guettait, blotti derrière ses livres, son grand piano, et le jardin qu'il aimait tant, photographié hier et que l'on voit sur cette page.
Le texte a été livré avec émotion par Franco Nuovo, l'ami et collègue du grand homme, lors de ses funérailles (2) célébrées hier en la basilique Notre-Dame.
« Le cœur bat plus vite que de coutume et le cerveau explose. Je me demande lequel des deux éclatera le premier. À moins que je ne m'occupe de tout cela moi-même, ce qui ne serait pas une si mauvaise idée après tout.
Je m'engloutis dans toutes les contradictions. Je suis vivant, mais je suis mort. Je suis résigné, mais je veux me battre. Un instant je m'imagine longeant les murs sans lever le regard. Puis je décide de porter la tête haute et de soutenir les terribles regards de tous ces accusateurs qui, hier encore, m'aimaient.
Je veux vivre et je veux mourir. Je veux ignorer le bourreau, qui ne sait pas ce qu'il fait, puis je veux me venger. Je veux dormir mais rester vigilant. Je suis allumé puis je m'éteins.
Je me suis toujours un peu moqué de la mort, la mienne et celle des autres. Tout s'arrête et voilà, c'est tout. Je ne l'ai jamais souhaitée mais je n'ai jamais, non plus, tenté de l'ignorer. Je savais qu'elle viendrait en son temps. Je souhaitais simplement qu'elle soit douce et qu'elle me prenne à l'improviste, sans m'avertir qu'elle s'amenait.
Mais voilà qu'elle se présente devant moi dans toute sa brutalité, avec une brusquerie sauvage qui m'arrache de terre avec violence.
Je comprends maintenant pourquoi il vaut mieux ne pas connaître le jour de sa mort. Car autrement, on devient un mort-vivant. Vous vous levez un matin, tout va bien. Puis quelqu'un vous annonce que vous serez exécuté dans l'après-midi. Entre le matin et l'après-midi, il y a l'éternité. Pas la vie, l'éternité qui, comme on le sait, ressemble parfois à l'enfer.
Oui, c'est de cela qu'il faut parler: l'enfer. J'y suis plongé depuis cinq jours, entouré de tous ces démons déchaînés, les miens et ceux des autres. Ils m'assaillent de toutes parts et me roulent dans la boue.
Je ne suis plus rien. Moins que rien. Et pourtant, il me reste la rage. Oui, cette sorte de rage qui est plus que de la colère, cette rage incandescente qui me brûle et me consume comme le feu le ferait sur le bûcher.
Voilà cinq jours que ça dure. Non seulement l'épouvante ne diminue pas, elle s'installe à demeure. Je sais que le fusil a craché son feu mais je ne sais pas quand il m'enflammera le cerveau. Inconsciemment, je longe déjà les murs et je ne regarde plus les gens, les voisins, les passants, dans les yeux.
J'attends. Une attente habitée de toutes les angoisses, de tous les cauchemars. Je ne me déplace plus que lentement, comme si je craignais d'arriver trop vite au but. Je regarde mon chien avec plus de tendresse que d'habitude et c'est dans une sorte de brouillard que j'aperçois ma terrasse abondamment fleurie. Je vois à peine les fleurs, qui ne sont plus que des taches de couleur imprécises qui s'évanouissent en plein soleil.
Désormais, je sais ce qu'est la folie: le retrait, le refuge, le départ ailleurs. Je me sens devenir fou. Je commence à comprendre que la mort et la folie ne sont peut-être qu'une seule et même chose. Je n'en peux plus. Ah! Tuez-moi au plus tôt qu'on en finisse enfin.
Je suis mort et je vis. L'horreur absolue.
Ce n'est pas tant la mort en soi. C'est la mort qui surgit de nulle part dans l'humiliation et l'opprobre. Ce n'est pas la mort tout court. C'est la mort qui s'accompagne du jugement injuste et de la condamnation sans appel. C'est la mort qui survient dans les cris de vengeance. C'est la pire des morts, et c'est la mienne.
J'ai connu, tout au long de ma vie, des souffrances indicibles et de lourdes épreuves. Mais, réunies toutes ensemble, elles pèsent bien peu auprès de la tourmente dans laquelle je suis plongé. » (3)
Pierre Bourgault
Note importante: En vous partageant le texte ci-dessus, écrit par monsieur Pierre Bourgault, je ne veux nullement insinuer que cet homme est présentement en enfer. Je veux simplement montrer qu'à la fin de sa vie, il a en quelque sorte goûté à ce qu'est l'enfer. J'espère de tout mon coeur qu'il n'y est pas allé, une fois "passé sur l'autre rive ".
Ceci étant dit, je considère cet événement historique, qui s'est passé chez nous en 2003, comme étant un sérieux avertissement. Chaque fois que je lis ce texte, les propos de monsieur Bourgault me glacent le sang. Je considère que Dieu a fait preuve d'une Miséricorde infinie envers cet homme à l'approche de sa mort, et à l'égard de tout Québécois et de toute personne de bonne volonté qui prendra connaissance des propos prononcés par un athée convaincu à la fin de sa vie. Les jours terribles qu'a vécus M. Bourgault à l'approche de sa mort, ont vraiment l'apparence d'un sérieux avertissement. Je pense que monsieur Bourgault a vu d'évidence et a même expérimenté la souffrance indicible et éternelle qu'entraînent le rejet de Dieu et le refus du salut, s'ils sont maintenus jusqu'au dernier moment de l'existence terrestre. Je ne puis que souhaiter que M. Bourgault ait fait bon usage de ce qu'il a expérimenté et qu'il a accepté d'être sauvé par Dieu avant de rendre l'âme. Et s'il est vrai que M. Franco Nuovo a lu ce texte rempli de désespoir, devant la tombe de Pierre Bourgault en la Basilique Notre-Dame, comme l'affirme le Journal de Montréal, je considère que l'Esprit Saint et la Vierge Marie sont responsables d'un tel geste. Si je n'avais pas lu la note du quotidien montréalais, je n'aurais jamais pu imaginer que quelqu'un lise un tel texte dans de telles circonstances. La seule explication valable que j'ai à l'esprit, pour que M. Franco Nuovo lise ce texte en pleine basilique dédiée à la Vierge Marie, c'est que l'Esprit Saint voulait que ce texte soit connu et, si possible, médité. Monsieur Franco Nuovo n'avait sûrement pas l'intention ce jour-là de "réveiller un peuple" de sa torpeur et de son insouciance chronique, mais l'Esprit Saint, Lui, avait certainement cette intention. Si ce texte n'avait pas été lu en la Basilique Notre-Dame, je suis presque assuré qu'il n'aurait jamais été connu du grand public. Je crois que Dieu a tant aimé le monde (Jn 3, 16), qu'Il a permis que la souffrance indicible expérimentée en fin de vie par un athée convaincu, résonne en un lieu saint, pour laisser imaginer la souffrance éternelle qui attend toute personne qui refuse Dieu jusqu'au dernier moment de son existence ici-bas.
Ce texte est pour moi un encouragement très puissant et très sérieux, à profiter des jours qui me restent à vivre sur cette terre en "ne laissant pas sans effet la grâce de Dieu " (2 Cor 6, 1) et en m'efforçant d'éliminer de mon coeur tout attachement au péché.
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Je remercie mon ami Luc Labrecque de m’avoir envoyé aujourd’hui ces deux textes qui, mis l’un à la suite de l’autre, ne peuvent que produire en tout québécois, et je l’espère en tout être humain, une onde de choc. Je ne connaissais pas, jusqu'à maintenant, le merveilleux texte de Camille Laurin, mais j'avais déjà lu peu après sa mort, le texte de Pierre Bourgault. Ce texte m'avait beaucoup impressionné à l'époque. Aujourd'hui, je suis littéralement troublé par les lignes qu'il a écrites. Tout est tellement noir et désespérant dans ce qu'il a écrit. Je serais tenté de dire que c'est écrit noir sur noir.
J’ai déjà parlé de l’athéisme de Pierre Bourgault dans mon blogue intitulé: Sens ou non sens (4)
(1)
www.cursillos.ca › ... › Témoignage de la semaine › Liste des témoignages
(2) Le "Journal de Montréal" emploie ici le mot "funérailles"; j'emploierais plutôt les termes "office funèbre".
(3)
www.lavie.ca/TEMP/Dernier_texte.htm
Les jours précédant son admission à l'hôpital ont été, pour Pierre Bourgault, ... par Franco Nuovo, l'ami et collègue du grand homme, lors de ses funérailles ...
(4)
dieumajoie.blogspot.com/2011/08/sens-ou-non-sens.html
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