Aimer = s'intéresser à l'autre
J'ai écouté dernièrement une vidéo dans laquelle un homme de science se vantait en quelque sorte, de n'avoir jamais lu un roman. On comprenait, par son discours, qu'il jugeait que c'était perdre son temps que de lire des romans. Par contre, il se vantait d'avoir tout lu ce que Galilée, le célèbre homme de science des 16ème et 17ème siècles, a écrit.
J'ai pendant longtemps pensé comme cet homme. Je jugeais que c'était perdre son temps que de lire des romans car ce qu'on y lit n'était pas, à mes yeux, la réalité. Or c'est en lisant le célèbre prêtre Maurice Zundel, que j'ai enfin ouvert les yeux sur cette question. Maurice Zundel, dans les ressourcements qu'il prêchait, pouvait prendre de nombreuses minutes à raconter un roman qu'il avait lu, pour nous en partager la leçon. Il y a un danger à croire que la fiction est étrangère à la réalité Jésus prêchait en paraboles. Les paraboles ne décrivent pas des évènements qui ont eu lieu; ce sont des histoires inventées. Et Jésus les a racontées pour nous introduire dans des RÉALITÉS insoupçonnées aux pauvres humains que nous sommes. Quel berger humain qui, faisant paître son troupeau et s'apercevant qu'il lui manque une brebis, laisserait tout le troupeau sans surveillance pour partir durant des heures ou même des journées entières, à la recherche de la brebis perdue ? Et pourtant, cette parabole nous fait découvrir la RÉALITÉ qu'est Dieu, la réalité vue avec les yeux de Dieu.
J'ai lu durant mes vacances actuelles, le roman de Mgr Joseph de Metz-Noblat (évêque de Verdun, Meuse, en France), intitulé : Le bois de fragne. J'ai croisé cet évêque et j'ai échangé quelques mots avec lui en 2019, lors d'un voyage à Rome. Il m'a paru très sympathique. Quand j'ai su qu'il a publié dernièrement son premier roman, cela m'a intrigué et j'ai fait venir ce livre par un confrère de ma Congrégation religieuse qui habite en France.
Le roman m'a plu. Pour un premier roman, c'est assez bien fait. Les deux passages qui m'ont le plus touché, sont des extraits de scénarios de films que Mgr Joseph a introduits dans son récit. Un de ces extraits est tiré du film de Coline Serreau, intitulé : La Crise. Sabrina, un des trois personnages principaux du roman. reçoit de judicieux conseils d'une pure étrangère qui est assise à côté d'elle sur un ban public. La dame note que Sabrina a l'air triste. Elle vient à savoir quelle est la cause de cette tristesse : Sabrina vient de quitter son conjoint sans même l'avoir averti de son départ. Sabrina ressasse les événements et va même jusqu'à imaginer ce que pense Nicolas, son conjoint. Or voici comment intervient la sage étrangère :
"Sauf que vous n'êtes pas lui ! Vous savez, hommes et femmes, nous ne réagissons pas de la même manière. Les hommes sont plus extérieurs, ils relativisent facilement les choses mais risquent d'être primesautiers ; nous, femmes, nous sommes plus intérieures, nous prenons les choses à coeur et c'est notre force, mais nous nous exposons à laisser gamberger dans notre tête le premier tracas venu... Nous sommes tellement soucieuses des détails que nous passons parfois à côté de l'essentiel ! Il n'y a que le dialogue entre l'homme et la femme pour dépasser cette différence. Sans dialogue, la vie devient infernale. "Il aurait dû deviner que ceci" ou "Elle aurait pu se douter que cela"... Combien de fois nous situons-nous dans le non-dit, alors que ça va mieux en le disant ! Avez-vous vu le film de Coline Serreau, La Crise ? C'est vrai, il date un peu, mais il est plein d'enseignement sur la vie conjugale, avec un humour à la française très agréable.
- Je vous avoue que je ne connais pas ce film.
- Quel dommage ! N'hésitez pas si vous avez l'occasion de le voir ; même moi, qui ne suis pas mariée, j'en ai tiré du profit. On n'aime pas pour soi, on aime pour l'autre. "Comment tu l'aimais ?"
Elle laisse sa phrase en suspens.
- Oh, de mon mieux, dit alors Sabrina, du moins, je pense.
- Excusez-moi, je ne vous posais pas la question directement, c'est une citation du film : c'est une vieille musulmane qui se meurt d'un cancer qui soumet la question au héros. Et celui-ci se rend compte que, pour être aimé, il faut d'abord aimer, c'est-à-dire prêter attention aux autres, s'intéresser à ce qu'ils font, à ce qu'ils sont. Bref, sortir de soi-même. C'est comme cela qu'il va refaire le tour de ses amis, non plus pour savoir où a pu partir sa femme, mais pour savoir comment chacun d'eux va. Il y a ainsi une scène très belle où il félicite son amie violoniste... Et il comprend qu'il est nécessaire de veiller au bien de son conjoint avant de penser à soi." (1)
Sabrina apprend un peu plus tard que la dame qu'elle avait rencontrée sur le banc ce jour-là, était une religieuse qui vivait à l'écart, seule dans un cabanon, un peu comme une ermite.
Je trouve très belle cette page du livre. C'est une très belle façon de décrire l'amour, que de dire que "l'amour consiste à s'intéresser à l'autre". C'est ce que faisait Jésus tous les jours de sa vie : il s'intéressait aux gens, à ce qu'ils étaient et à ce qu'ils faisaient et à ce qu'ils vivaient. C'est pour cela qu'il a pu un jour se décrire comme le bon Pasteur et dire : "Moi, je suis le bon Pasteur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent." (Évangile selon saint Jean, chapitre 10, verset 14)
Je ne sais pas si vous avez lu le témoignage de mon confrère Oblat Stanley Okonkwo, omv. Dans la deuxième partie de son témoignage, il raconte comment il a retrouvé la joie et la paix qui l'habitaient habituellement, mais qu'il avait perdu momentanément. Il dit :
"C’est alors que j’ai compris la raison pour laquelle Dieu m’avait conduit sur cette base militaire. C'était pour que je devienne le pasteur de ces merveilleuses personnes. Car plus je connaissais ces gens, plus je les trouvais merveilleux. Maintenant une nouvelle mission commençait pour moi: être missionnaire parmi mes compatriotes.
La première action que j’ai entreprise en compagnie du responsable de la catéchèse, fut de visiter les familles catholiques dans leur domicile, ainsi que les familles dont un des parents était catholique et l'autre musulman. J’ai été surpris par l’accueil chaleureux qu'ils m'ont réservé. Ils étaient tellement heureux que le prêtre puisse prendre du temps pour leur rendre visite et voir comment ils allaient." (pour lire son témoignage, veuillez cliquer sur les mots suivants: Stanley et le mystère pascal (2))
Stanley a bien raison ; pour former notre coeur de pasteur, nous devons apprendre de Jésus à nous intéresser aux gens et à leur vie. Cela contribue aussi grandement à nourrir notre vie de prière. Quand nous sommes en prière, il n'est pas rare que spontanément nous vienne à l'esprit le visage ou la vie de tel paroissien ou telle paroissienne et nous pensons alors à prier pour cette personne.
Selon moi, il faut reprendre ici au Québec, la tradition ou l'habitude qu'avaient les curés d'autrefois, de "faire la visite paroissiale". Il appartiendra à chaque pasteur de juger de la façon la plus convenable et la plus prudente d'effectuer une telle visite. Mais je pense qu'il faut retourner à cela. Pour les gens d'un certain âge qui ont connu de telles visites dans le passé, il faudra leur dire clairement que le but que nous poursuivons en allant les voir, ce n'est pas du tout de leur soutirer de l'argent, mais uniquement de mieux faire connaissance. Je me souviens que lorsque j'étais enfant et que le prêtre faisait la visite paroissiale, mes parents savaient qu'il devaient lui donner de l'argent. Ce n'est plus du tout la même situation ecclésiale au Québec, et il faut, selon moi, le mentionner aux personnes les plus âgées. Le prêtre doit absolument témoigner aujourd'hui, et plus que jamais, de la gratuité de son action apostolique.
(1) Mgr Joseph de Metz-Noblat, Le bois de fragne, Éditions Dominique Guéniot, 2020, pp. 148 et 149.
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