Le Dieu fou par Luc Simard
"Le Dieu fou" par Luc Simard
Je suis très heureux de vous avoir fait connaître un
peu mieux mon frère Luc qui est prêtre diocésain à Québec. Luc est un artiste
et un poète. Il a une merveilleuse façon de s’exprimer par l’écrit. Je vous
partage aujourd’hui le texte dont il est peut-être le plus fier. Il a dit
dernièrement que cela lui a pris un an à composer ce texte car il ne trouvait pas
le chaînon qui reliait toutes les parties.
Le Dieu fou
« Qui peut saisir le langage des étoiles, qui peut
surprendre la musique des âmes, qui saura d’un cœur assez libre connaître la
Parole de la vie? Celui que ton Esprit habite, Seigneur, accueille les secrets
du Père. Heureux l’homme dont le regard traverse l’invisible pour chercher ton
visage. Heureux l’homme dont l’esprit découvre la sagesse dans la folie de la
croix. » Stance, Office des Lectures, Carême, Mercredi III
Dieu est Fou. Oui, mon
Dieu est Fou. J’ai mis du temps à m’en rendre compte. Trop de temps. Mais,
est-ce trop de temps quand Dieu, du plus loin de son éternité, n’a jamais eu de
temps ? Oui, Dieu, mon Dieu, est Fou. Très Fou même. Je ne parle pas de cette
folie démente qu’on enferme parce qu’elle dérange et qu’il vaut mieux ne pas la
voir. Or, même cette folie-là, le Dieu fou en raffole. Fou d’être Fou parmi les
fous. Éternellement Fou d’Amour.
Décidément, Il ne pense pas comme nous le Dieu fou.
Le Dieu fou vit sa Folie
comme sa Folie vit en Lui. Accrochée comme les épines à sa rose. Le croissant à
sa lune. Liés, sa Folie et Lui. D’avance. Depuis toujours. Sa Folie – une folle
- sœur jumelle de l’amour, presque
siamoise, tellement elle Lui colle à la peau du cœur. Une Folie dont la joie
est de lancer toutes ses folies autour d’elle. Sans n’en retenir ni n’en garder
pour elle qu’une seule. Dilapider sa Folie comme le coucher du jour son soleil
d’or; le firmament; ses clins d’œil d’étoiles, l’enfant; ses rivières de rire.
Le Dieu fou ne garde rien pour Lui. Il donne tout. D’un coup. D’un seul coup.
Un coup sûr.
Oui, mon Dieu est Fou.
Fou à lier, mais Il ne se laisse pas enfermer comme ça, le Dieu fou. Têtu qu’il
est. Comme mille mules. Éperdument-Fou. Perdu dans sa Folie. Il s’acharne.
S’approche. Le premier. Toujours. Chaque fois. Il est patient le Dieu fou. Il
en meurt de patience de s’approcher. Des millénaires durant qu’Il s’approche.
Astucieux le Dieu fou. Plus fou que Lui, tu meurs. D’ailleurs, Il en est mort
de sa Folie. Mort de sa belle mort de Folie !
Figurez-vous que Dieu a
été assez fou pour tomber de Très-Haut et se faire à hauteur d’homme.
Empruntant le même corps que le mien. Le même visage que le mien. Prenant le
risque – convaincu qu’Il était – que je Le reconnaîtrais enfin, tellement Il me
ressemble. À s’y méprendre, Lui et moi. Mais non ! Comme de raison – car la
raison ne comprend rien aux choses de Dieu - Il est passé tout aux côtés et je
ne L’ai point reconnu. Lui, trop semblable à moi. Moi, trop semblable à Lui.
Lui, trop près. Moi, trop pres -sé. Le Dieu fou s’est trompé. Mépris. Il s’y
était pourtant drôlement bien pris. Il arrive que le Dieu fou se trompe,
voulant trop bien faire. La Folie de Dieu : tout le contraire de la folie
des hommes.
Oui, il a pleuré, le
Dieu fou... Ses larmes… des cristaux de
première neige…
Revenu à lui-même, le
Dieu fou a continué son manège. De plus belle. Il est allé au comble du comble
de sa Folie. Au tréfonds. Au plus profond du fond de sa Folie, risquant le tout
pour le tout. Une fois pour toutes. Il a décidé d’en mourir de sa Folie. En
mourir de son vivant. Comment ? En jouant le trouble-fête. Le parfait
révolutionnaire qui chamboule tout. Inversant la logique des hommes. Le petit
devenant grand. Le dernier, premier. Le perdant, gagnant. L’ennemi, l’ami. Le
faible, le fort. La prostituée, l’aimante. Le pécheur, le saint. Il a si bien
joué son jeu jusqu’au bout, qu’Il est passé pour le plus Fou des fous. Au
moins, cette fois-ci, le Dieu fou n’est pas passé inaperçu. Et, comme on le
fait depuis toujours, quand un illuminé gêne ou perd trop la tête, on a vite
fait de s’en débarrasser.
« Maltraité, il s’humiliait, il n’ouvrait pas la bouche,
comme l’agneau qui se laisse mener à l’abattoir, comme devant les tondeurs une
brebis muette, il n’ouvrait pas la bouche (Isaïe 53, 7). »
Flagellé, le Dieu fou.
Crucifié. Mort et enterré, le Dieu fou.
Trois jours et trois
nuits sans nouvelles. Les hommes avaient donc raison. Le Fou est mort pour de
bon. Bon débarras. Du moins, le croyait-on…
Or, le Dieu fou, en
grand Maître du suspense qu’Il est, n’avait pas dit son dernier mot. En effet,
après un repos bien mérité de trois jours et trois nuits, la pierre du tombeau
mystérieusement roulée, voilà qu’Il se montre à nouveau. Il apparaît et – comble
de folie – on Le reconnaît. Du premier coup cette fois. Il parle. Marche.
Mange. Boit. Continue de louer et de bénir les enfants et « ceux qui leur ressemblent. »
On a tué le Dieu fou; sa
Folie L’a rendu à la vie. Plus vivant qu’avant. En pleine forme.
Resplendissant. Comme jadis sur les routes poussiéreuses de sa Palestine
natale, parcourue dans tous les sens, le Dieu fou se promène encore…
Privilégiant – comme toujours – les chemins les moins fréquentés et les routes
de fortune. Quiconque aujourd’hui, errant, abandonné à lui-même, y chemine de
peine et misère, espérant contre toute espérance, rencontrera, tôt ou tard, les
yeux du Dieu fou. Alors, à la croisée de ce Regard couleur de ciel, ses yeux
vides s’illumineront et, avec eux, la source tarie de son cœur ruissellera
comme celle jaillie jadis du rocher de l’Exil. La brebis se croyait perdue. Le
Dieu fou l’a retrouvée.
C’est là, contre toute
attente, exilé, isolé, loin de l’efficacité du monde, que le Dieu fou est venu
jusqu’à moi. Illuminer mes jours et mes nuits, me laissant entrevoir, le temps
d’un soupir, la Transfiguration éternelle qui m’attend. Le Très-Haut est
descendu en bas. Là où je me tenais. Depuis longtemps…
Et si c’était cela,
comme Pierre, Jacques et Jean, non sur la montagne, mais, dans la froidure d’un
sous-sol, faire à mon tour l’expérience enivrante du Thabor !
En attendant l’éternel
ravissement du Face-à-face avec le Dieu fou, la ferveur brûlante de mon premier
amour, retrouvée, je m’émerveille de chaque instant qui passe. Au compte-goutte.
Une heure à la fois. Je prie, égrainant lentement les mystères qui m’attendent.
Savourant, extasié, tel un miracle arrivé à pied levé, la joie dévorante, à
m’en arracher les entrailles, d’avoir déjà un pied dans la Terre Promise.
Honneur, gloire et
louange à toi, Dieu fou de mon cœur !
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