Vive la philosophie ! Première partie
Ceux et celles
qui lisent ce blogue depuis ses débuts, savent pas mal de choses sur moi. Ils
savent que j’ai été étudiant en philosophie à l’Université Laval, dans la
ville de Québec. Ils savent aussi que c’est lors de ces études que j’ai
rencontré deux de mes meilleurs amis : Michel Fauteux et Michel Fontaine.
Les deux Michel ont enseigné la philosophie au CEGEP de Ste-Foy durant environ
vingt-cinq ans. La philosophie, lorsqu’elle est bien faite, nous apprend à
penser, et à bien penser. Elle nous aide à débusquer les erreurs et, surtout, à
chercher et à trouver la vérité. Car, quoiqu’on puisse dire sur tous les tons
en ce XXI ème siècle, que « tout est
relatif » et qu’il n’existe qu’une vérité « personnelle », « ma
vérité », tout philosophe digne de ce nom, sait et enseigne que la
vérité universelle existe. Les deux Michel ont poussé l’audace dans les années
1980, d’offrir un cours de philosophie sur « l’existence de Dieu ». Au grand dam de certains de leurs
confrères du département de philosophie. Or il est tout à fait exact de dire
que la question de l’existence de Dieu, relève de la philosophie.
Il y a deux
jours, un des journalistes montréalais les plus connus, les plus respectés et
adulés par le milieu journalistique, M. Pierre Foglia, a émis son opinion sur
le projet de loi 52, qui a pour but de « légaliser l’euthanasie ». Non seulement M. Foglia est en
faveur du projet de loi, mais il juge même qu'il ne va pas encore assez
loin. Voici ce qu’il a écrit :
« Parenthèse: personnellement, je trouve
qu'on n'est pas allé assez loin. Ainsi, je voudrais bien qu'on m'aide à mourir
même si je ne souffre pas. Quand je ne me souviendrai plus de mon nom ni de
celui de mes enfants, quand je ne saurai plus quel jour on est, en quelle année,
si c'est l'été ou l'hiver, qu'il faudra me faire manger à la petite cuillère,
que je passerai mes journées devant la télévision sans être conscient que je la
regarde, quand il faudra me mettre un bavoir, des couches, quand je serai rendu
là parce que je n'aurai pas eu le bonheur de mourir en six mois d'un cancer du
côlon ou du pancréas, j'aimerais bien qu'on m'aide à mourir. Et j'aimerais bien
signer le papier tout de suite. » (Pierre Foglia, La Presse, Cherchez l’erreur,
le 24 février 2014)
Personnellement, je regrette que M. Foglia tarde tant à prendre sa
retraite. Il y a des gens qui semblent avoir tellement de difficulté à
décrocher. D’un autre côté, il est probablement bon que l’on concède de la
place dans la sphère publique à des gens comme lui, car cela leur donne une
raison de vivre.
Un des deux Michel, Michel Fontaine, m’a envoyé dernièrement un
texte qu’il a écrit récemment sur un sujet très actuel : l’euthanasie.
Dans un premier temps, j’ai éprouvé un grand désir de mettre ce texte sur mon
blogue. Puis, j’ai laissé passer un peu de temps. Or le paragraphe de Pierre
Foglia, que je viens de citer, m’a convaincu de vous partager l’écrit de
Michel. Si Pierre Foglia tombait par hasard sur les quelques lignes
que j’écris en ce moment, il ne serait guère surpris de ce qu’il lirait. Il se
contenterait de dire une fois de plus que ce n’est que des « histoires de vieux cathos » (M.
Foglia, dans l’article cité ci-dessus, dit que le projet de loi 52 répond au
souhait de la population québécoise, « sauf
de quelques vieux cathos »).
Voici donc le texte de
Michel Fontaine :
« Il est de plus en plus difficile
aujourd’hui de discuter, de poser et de répondre publiquement aux questions philosophiques. Pourquoi? Qu’y a-t-il de
changé? Ce qu’il y a de changé c’est que nous n’habitons plus le même univers
de pensée. Nous ne nous rejoignons plus. C’est la tour de Babel. Pour discuter
il faut se rencontrer quelque part, il faut un terrain commun assez riche pour
semer une question et faire pousser une solution. Pour entrer en discussion,
pour chercher la vérité avec quelqu’un, il faut se rencontrer sur un même
terrain. Comment danser ensemble si nous nous retrouvons pas sur la même piste?
Y a-t-il un terrain commun sur lequel je pourrais te rencontrer pour engager
une véritable discussion philosophique, une discussion où il serait possible de
départager avec toi le vrai du faux sur des questions philosophiques? Or,
aujourd’hui, un terrain commun suffisant c’est justement ce qui manque.
Peut-on discuter efficacement de l’euthanasie,
par exemple, avec un athée? Le terrain est-il assez vaste pour rendre justice à
cette question?
Si tu es athée comment puis-je discuter
efficacement de l’euthanasie avec toi? Le sol n’est-il pas trop pauvre pour
faire pousser une solution digne de l’homme? Si je pars de l’athéisme j’aboutis
avec toi à l’euthanasie, je peux en convenir.
Comment puis-je me convaincre moi-même et les
autres que l’euthanasie est toujours illégitime si je soutiens la vision du
monde suivante: « Puisque la vie est un avatar hasardeux de la
matière et l’homme le produit étonnant d’autres mutations, d’autres hasards;
puisqu’il n’a été ni conçu, ni voulu, ni pensé, et que, du reste, il n’y a pas
de finalité, son apparition et son histoire ne sauraient avoir aucun sens:
aucune signification. (...) D’avoir été « jeté » sur terre n’a et ne peut
avoir, aucune espèce de sens. » [Yves Florenne, Vercors et le sens de l’histoire, Le monde diplomatique, sept. 1978, p. 20.]
« Si avoir été jeté sur terre n’a et ne peut
avoir aucune espèce de sens » on voit encore moins quel sens il y aurait à
souffrir pour rien.
« Travaillant pour le néant, tous nous ressemblons
plus ou moins à ces insectes qui, mus par l’instinct stupide, s’obstinent à
déposer leur ponte dans des nids éventrés. » [Jean Rostand, Pensées d’un biologiste, Éditions Stock, 1954, p. 138]
Si tout ce que nous faisons
s’écoule en pure perte et est inutile pourquoi aurions-nous du remords pour le
mal que nous faisons pour nous faire plaisir et rendre notre vie plus
supportable? Si la vie ne vaut rien quel tort le mal que nous faisons peut-il
lui faire? Comment nuire à ce qui ne vaut rien? Si la vie ne vaut rien, le pire
que le mal puisse lui faire c’est de la détruire et cela sera un bien s’il est
vrai qu’elle est inutile et nous fait travailler en pure perte. Si la vie
n’aboutit nulle part et qu’il n’y a plus rien qui nous y retienne pourquoi continuer
à nous échiner pour rien?
Lucrèce, auteur de référence de l’athéisme,
faisait la promotion du suicide et de l’euthanasie.
« Si tu as pu jouir à ton gré de ta vie passée, (...) pourquoi
tel un convive rassasié, ne point te retirer de la vie; pourquoi, pauvre sot,
ne point prendre de bonne grâce un repos que rien ne troublera ? Si au contraire tout ce dont tu as joui s’est
écoulé en pure perte, si la vie t’est à charge, pourquoi vouloir l’allonger
d’un temps qui doit à son tour aboutir à une triste fin, et se dissiper tout
entier sans profit ? Ne vaut-il pas
mieux mettre un terme à tes jours et à tes souffrances? Car imaginer désormais quelque invention nouvelle
pour te plaire, je ne le puis : les choses vont toujours de même. Si ton
corps n’est plus décrépit par les années, si tes membres ne tombent pas
d’épuisement, il te faut néanmoins toujours t’attendre aux mêmes choses, même
si la durée de ta vie devait triompher de toutes les générations, et bien plus
encore si tu ne devais jamais mourir.”
Et au vieillard qui se plaint de
l’engourdissement de la vieillesse et de la brièveté de la vie et au forçat de
la vie qui ne trouve aucune joie à exister, Lucrèce, qui était athée, adressait
ces mots au nom de la Nature: « “Essuie ces larmes, bélître (c’est-à-dire homme
de rien, minus), et fais taire ces plaintes. Toutes les joies de la vie, tu les
as épuisées avant d’en venir à cette décrépitude. Mais à désirer toujours ce
que tu n’as pas, à mépriser les biens présents, ta vie s’est écoulée incomplète
et sans joie, et soudain tu as vu la mort debout à ton chevet, avant de pouvoir
t’en aller le cœur content et rassasié de tout. Mais maintenant quitte tous ces
biens qui ne sont plus de ton âge, et, sans regret, allons, cède la place à
d’autres : il le faut.”
Juste à mon sens serait ce plaidoyer, justes
seraient ces blâmes et ces reproches. »
[Lucrèce, De la Nature, Trad. Alfred Ernout,
Paris, Société d’Édition «Les Belles
Lettres»]
« Nietzsche (…) dans le Crépuscule des idoles, improvise une “morale pour les médecins”,
voici ce qu’on peut y lire : “Le malade est un parasite de la société.
Arrivé à un certain état, il est indécent de vivre plus longtemps.
L’obstination à végéter lâchement, esclave des médecins et des pratiques
médicales après que l’on a perdu le sens de la vie, le droit à la vie (c’est Nietzsche lui-même qui souligne), devrait
entraîner de la part de la société un profond mépris. Les médecins, de leur
côté, seraient chargés d’être les intermédiaires de ce mépris — ils ne feraient
plus d’ordonnances, mais apporteraient chaque jour à leurs malades une nouvelle
dose de dégoût…” » [Nietzsche cité in Luc Ferry, Qu’est-ce qu’une vie réussie ?, Paris, Grasset, 2002, p. 141]
Parlant de l’euthanasie
et du suicide, Nietzsche dit : « La sage disposition à l’égard de la
mort appartient à la morale de l’avenir, qui paraît insaisissable et immorale
maintenant, mais dont ce doit être un bonheur indescriptible d’apercevoir
l’aurore. » [Nietzsche, Le voyageur et
son ombre, Mercure de France, 1902, Trad. Henri Albert, p. 110]
Un biologiste athée du
début du siècle, Le Dantec, disait :
« Petit à petit, à force de raisonner et de
discuter tous les problèmes philosophiques, l’athée acquiert quelques
certitudes paralysantes, qui prennent place dans son mécanisme à côté de sa conscience
morale, et qui la neutralisent plus ou moins; cela détend les ressorts de la
vie. (...) S’il allait vraiment jusqu’au bout des conséquences de son athéisme,
il n’aurait plus aucun désir, aucun but, il ne ferait plus aucun effort! À quoi
bon? Heureusement, je le répète, il n’y a pas d’athée parfait... (...) Dans une
société vraiment athée, le suicide anesthésique serait évidemment en honneur;
la société disparaîtrait probablement par ce moyen.
Une souffrance intolérable conduirait fatalement
l’athée au suicide; un athée ne doit vivre que s’il est heureux;... je dois
affirmer ici, en toute sincérité, que je ne vois aucun raisonnement capable
d’arrêter l’athée parfait que le suicide tente. » [Félix Le Dantec, L’Athéisme, Paris, Ernest Flammarion,
1909 pp. 99 à 101]
On le voit il n’est pas indifférent que Dieu
existe ou non pour discuter de certaines questions philosophiques.
« Celui-là n’habite point le même univers
qui habite ou non le royaume de Dieu. » [Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle, Gallimard, 1948, p. 28]
Mais si je pars d’une conception opposée de
l’homme et de la réalité, si je pense que le monde est gouverné par une
Providence sage et bonne, j’aboutis à une autre solution. Si la vie de l’homme
est bonne de la naissance à la mort et que la souffrance elle-même, y compris
celle des derniers moments, a un sens et un grand prix, plus encore même que le
plaisir, alors j’aboutis à une autre solution. Un monde où le moindre verre
d’eau que l’on donne est récompensé au centuple est un monde où la souffrance a
une grande valeur. Un monde duquel on peut dire ”Bienheureux ceux qui pleurent
car ils seront consolés” est un monde où la souffrance est de l’or. Si la
souffrance était sans valeur pourquoi serait-il si beau et noble de la soulager
et si terrible de la provoquer? Notre monde est un monde où Dieu lui-même s’est
fait homme “a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort…” Pour
l’humanité, on peut dire que cette souffrance du Dieu fait homme a été plus
rédemptrice que les bons moments qu’il a pu vivre. Oh qu’elle a été précieuse
cette souffrance du Dieu fait homme! Cette souffrance a recréé l’homme et lui a
donné un avenir bienheureux. Si l’on croit qu’il y a une Providence, si nous
croyons au salut de l’homme, si nous croyons que cette vie est un temps pour
devenir parfait, un temps de purification, un temps où même la souffrance a son
rôle à jouer et sa raison d’être et qu’elle a un prix incommensurable —ce que
la souffrance du Christ nous permet de mesurer un peu— ne nous opposons-nous pas
à la Providence et à son plan de salut en nous supprimant nous-mêmes ? Ne
nous opposons-nous pas à la Providence quand nous quittons la partie parce que
la vie n’est plus marrante, parce que la “qualité de vie” — si chères aux
boomers qui ont justifié ainsi le divorce et l’avortement—, n’est plus ? Comme
on quitte la foire lorsqu’il ne reste plus de billet pour s’amuser dans les
différents manèges. Si la vie est bonne telle qu’elle est, avec ses souffrances
et ses joies, parce qu’elle est chemin de salut, il ne nous revient pas de
décider à quel moment se termine notre marche vers Dieu. Si Dieu est et si nous
sommes dans la main de Dieu, nous pouvons juger de l’euthanasie autrement que
ceux qui pensent “qu’avoir été jeté sur terre n’a et ne peut avoir aucune
espèce de sens »
Dans une société où une conception bornée et
intolérante de la neutralité de l’État nous interdit de nous référer aux
conceptions religieuses du monde, même philosophiques —car il y a des
conceptions philosophiques du monde qui font une place à la religion comme
partie la plus haute de la vertu de justice—, le terrain pour discuter de façon
libre et efficace les questions comme celle de l’euthanasie est vraiment trop
pauvre et trop étroit. Pour nager le 100 mètres papillon il faut une piscine,
non un bain. Si on me donne seulement le bain de l’athéisme, du scientisme…
comment pourrais-je démontrer que je peux nager le 100 mètres papillon?
Impossible pour quiconque de démontrer que l’euthanasie blesse la dignité de
l’homme et méprise la Providence si on ne me donne que le petit bassin étroit
d’une raison qui a foulé au “lavage de cerveau” d’une philosophie laïciste. On
peut dire de la raison laïciste qu’elle « rétrécit la vie, comme l’eau
rétrécit les tricots de laine, si bien qu’on s’y sent coincé et on ne peut plus
lever les bras. »
Cela ne veut pas dire qu’on ne peut rien faire
contre la culture laïciste. On peut attaquer efficacement la position laïciste
sur le suicide et l’euthanasie en partant de ce qu’elle concède. Que concède au
juste la position laïciste qui prévaut aujourd’hui? Elle oppose un refus
catégorique de gouverner et de légiférer à partir d’un point de vue
métaphysique ou religieux. À partir de cette concession, on peut argumenter de
la façon suivante :
Vous dites que l’euthanasie met un terme aux
souffrances insupportables, incurables et inutiles, plus particulièrement les
souffrances morales, puisque, aujourd’hui, les souffrances physiques peuvent
être efficacement soulagées. Comment pouvez-vous être sûrs que la mort par
homicide voulu par la victime (car le
suicide et l’euthanasie sont des homicides) met un terme aux souffrances?
Êtes-vous à même de démontrer cela à partir de votre point de vue laïciste? La
mort par euthanasie met un terme aux souffrances de cette vie c’est vrai.
Comment savez-vous, comment pouvez-vous affirmer que notre vie se termine à la
mort? Comment pouvez-vous dire que la mort est une fin absolue de la
souffrance? Que peut dire là-dessus un laïcisme qui fait table rase de tout
argumentaire à connotation religieuse? Serait-ce parce que vous croyez que
notre vie se termine, purement et simplement, à la mort? Ou serait-ce parce que
vous pensez que la vie qui succède à cette vie est nécessairement une vie
bienheureuse? Ce serait alors recourir
à un argumentaire religieux que vous interdisez. Poursuivons. Comment
savez-vous que la décision de se tuer soi-même ou d’exiger d’un autre qu’il
vous tue ne générera pas une souffrance plus grande encore dans une autre vie
que celle que voulez tant supprimer? Et si vous pensez que la mort est la
destruction absolue de cette vie, comment savez-vous que « cette vie
mortelle, la mort immortelle la détruit », selon le mot de Lucrèce?
Pouvez-vous vraiment le savoir? Comment prouvez-vous cela? Affirmer que la mort
est une fin absolue, et donc une fin absolue de la souffrance, c’est entrer
avec ses gros sabots dans un espace religieux et métaphysique. Aucun doute
là-dessus. Comment un laïcisme étriqué, une raison citoyenne qui ne veut pas se
fonder sur une religion ou une métaphysique (cela l’accréditerait, l’officialiserait, réduisant à néant la
neutralité laïciste) peut-il se permettre de recourir au discours religieux
alors qu’il l’interdit expressément à tout le monde? S’il s’accorde ce qu’il
interdit à tous les autres il est incohérent, malhonnête et tyrannique.
Un médecin allumé s’est
attaqué à l’argumentaire euthanasiste en démasquant la croyance “religieuse ou métaphysique” qui la conditionne en
contravention avec la position laïciste et sa conception tordue de la neutralité
de l’État.
« Il n’existe par définition aucune donnée probante indiquant que mettre
fin aux jours d’un patient mettra fin à ses souffrances. Pour affirmer cela, il
faut invoquer la croyance selon laquelle la vie s’arrête après la mort. Cette
croyance, très répandue aujourd’hui, est respectable, mais ce n’est que
cela : une croyance. » [Dominique Garrel, Médecin et
professeur titulaire à la faculté de médecine de l’Université de Montréal, La Presse, 19 septembre 2013]
À quoi croit celui qui pense
que mettre fin aux jours d’un patient c’est mettre fin à ses souffrances? Il
croit en général que rien de nous, une fois mort, ne peut subsister pour
souffrir encore. Et s’il croit qu’il y a une autre vie, il croit que le fait de
mettre fin à ses jours pour mettre fin à ses souffrances ne peut lui être
reproché et être pour lui source de souffrances. Autrement, il hésiterait à
recommander l’euthanasie à qui que ce soit.
Si on peut prouver que la
mort n’est pas une fin absolue, pensons aux argumentations philosophiques sur
l’immortalité de l’âme, pensons également au fait bien attesté de la
résurrection du Christ, il est impossible, en revanche, de prouver que la mort
est la fin de toute vie. La métamorphose de la chenille en papillon ne
prouve-t-elle pas à sa façon qu’une vie meilleure et plus belle peut succéder à
une vie plus grossière?
Pouvons-nous disposer de
nous-mêmes? Nous sommes-nous donnés à nous-mêmes? Nous appartenons-nous? Notre
corps nous appartient-il, comme le croient certaines femmes qui invoquent ce
principe pour disposer du corps d’un autre, c’est-à-dire celui de l’enfant
qu’elles portent. Cela aussi est une croyance. D’où peut bien venir cette
croyance que nous n’appartenons à personne d’autre qu’à nous-mêmes? D’où nous
vient cette prétendue souveraineté sur nous-mêmes, sur notre vie et sur notre
mort? Comme si nous n’avions de compte à rendre à personne. C’est l’athéisme,
qui est présupposé ici. C’est clair.
Quand le cadre pour décider
de la légitimité du suicide et de l’euthanasie et des autres questions du même
genre exclut les arguments tirés des conceptions religieuses du monde et de
l’homme, comment dans un tel cadre pourrions-nous répondre à ces questions
morales fondamentales?
Légitimer le suicide et
l’euthanasie c’est affirmer la souveraineté de l’homme sur lui-même, sur sa vie
et sa mort… Comment le laïciste va-t-il prouver cela? En disant, qu’il n’y a
rien au-dessus de l’homme? En disant avec Feuerbach? : « (…) “C’est l’essence de l’homme qui est l’être
suprême… Le tournant de l’histoire sera le moment où l’homme prendra conscience
que le seul Dieu de l’homme est l’homme même. Homo homini Deus.[1]
“L’être absolu, le Dieu de l’homme, c’est l’être même de l’homme”. »[2]
C’est bien sûr
une croyance possible et elle peut, en effet, légitimer, si elle
est vraie, l’euthanasie. Mais la question est de savoir si le laïciste qui ne
veut pas recourir au discours religieux peut affirmer avec Feuerbach que
« le seul Dieu de l’homme est l’homme » et instituer par là même une
religion de l’homme.
Une conception de la
neutralité de l’État qui exige que l’on résolve des questions aussi
fondamentales que l’avortement, le suicide assisté et l’euthanasie, sans
recourir à des arguments religieux ou métaphysiques pour ne cautionner aucune
religion ou métaphysique, ce qui irait contre le principe de neutralité, une
telle exigence est folle et impraticable. Il n’est pas possible de trancher
pour ou contre le suicide assisté ou l’euthanasie sans puiser à des sources
religieuses ou métaphysiques. Celui qui croit s’en passer s’abuse lui-même. Il
est trop superficiel pour s’en rendre compte. Ce qui est le cas, je crois, d’un
grand nombre.
______________________
[1]- L’homme est le Dieu de
l’homme.
[2]- Feuerbach cité dans Henri de Lubac, Le drame de l’humanisme athée, Les Éditions du Cerf, Paris, 1998, pp. 25 à 27]